
M. Duret a étudié avec grand soin la commotion, la contusion et la compression cérébrales : pour trouver l’explication des phénomènes survenus clans ces circonstances, il a eu recours à la méthode expérimentale ; il a pu de la sorte reproduire d’abord les symptômes, puis trouver les lésions, étudier leur siège et découvrir enfin le mécanisme de leur production. Or, pendant l’accouchement, la tête fœtale, on le sait, est comprimée plus ou moins fortement : cette compression est due, soit aux contractions utérines auxquelles vient, à la fin du travail, s’ajouter l’effort de la femme, soit dans certains cas exceptionnels, à l’application d’instruments et, par-dessus tout, du forceps.
Les communications si intéressantes faites par M. Duret à la Société de biologie [2], les magnifiques recherches qu’il vient de publier dans sa thèse [3] méritent d’attirer tout particulièrement l’attention des accoucheurs.
M. Duret a étudié avec grand soin la commotion, la contusion et la compression cérébrales : pour trouver l’explication des phénomènes survenus clans ces circonstances, il a eu recours à la méthode expérimentale; il a pu de la sorte reproduire d’abord les symptômes, puis trouver les lésions, étudier leur siège et découvrir enfin le mécanisme de leur production.
Or, pendant l’accouchement, la tête fœtale, on le sait, est comprimée plus ou moins fortement : cette compression est due, soit aux contractions utérines auxquelles vient, à la fin du travail, s’ajouter l’effort de la femme, soit dans certains cas exceptionnels, à l’application d’instruments et, par-dessus tout, du forceps.
D’autre part, la tête, au moment de la naissance, possède une constitution particulière ; ses os ne sont pas encore soudés les uns aux autres. Ils sont séparés par des espaces membraneux ; ils sont non seulement minces et souples par eux-mêmes, mais de plus, mobiles les uns sur les autres. Il en résulte que, pendant le travail, le crâne se laissant déprimer, on peut voir sa forme se modifier et quelques-uns de ses diamètres diminuer ; la tête doit se mouler sur les parties maternelles et franchir ainsi plus facilement la filière pelvienne.
Pendant l’application du forceps, on peut produire des changements analogues; la tête doit subir une compression lente, mais quelquefois cette compression, entre les mains de médecins inexpérimentés, est rapide, brusque même. Or, c’est la compression lente et la compression brusque de la boîte crânienne qui ont été étudiées expérimentalement par M. Duret ; voyons à quels résultats il est arrivé, et si ces résultats peuvent être de quelque utilité pour l’accoucheur.
Nous nous étions proposé, dit-il, de rechercher les causes et le mécanisme de la commotion cérébrale, et par des injections brusques à l’intérieur du crâne de liquides non absorbables, qu’aussitôt après nous laissions sortir, nous avions réussi dans une série d’expériences à reproduire les formes cliniques de la commotion. C’était là un résultat, mais nous ignorions les causes réelles de la disparition brusque du fonctionnement encéphalique.
Un jour, chez un chien vigoureux, d’un coup, brusquement, nous injectâmes par un petit trou au crâne, environ 100 grammes d’eau (dans des expériences précédentes, destinées à étudier les phénomènes de commotion, il nous suffisait de l’injection subite de 10 à 20 grammes d’eau pour tuer l’animal instantanément). Cette violente injection eut pour résultat la mort immédiate de l’animal. A l’autopsie, nous trouvâmes une large perforation latérale et un éclatement étendu sur la ligne médiane du plancher du quatrième ventricule.
En examinant avec soin la forme de cette perforation et de cette déchirure, on reconnaissait qu’elles avaient été produites par une violence agissant du dedans en dehors, de l’intérieur du ventricule vers l’extérieur; déplus, il existait une énorme dilatation de l’aqueduc de Sylvius et du canal central de la moelle dans toute sa hauteur, de nombreux foyers hémorragiques occupaient le plancher du quatrième ventricule.
L’idée lumineuse surgit aussitôt à notre esprit. Cette distension du bulbe, cette rupture de dedans en dehors, cette dilatation de l’aqueduc de Sylvius et du canal central avaient été produites par la tension énorme du liquide céphalo-rachidien.
Sous l’influence de la pression considérable subitement exercée à la surface des hémisphères cérébraux, le liquide céphalorachidien contenu dans les ventricules latéraux avait été chassé rapidement à travers l’aqueduc de Sylvius dans le quatrième ventricule. L’aqueduc de Sylvius s’était dilaté et déchiré. Le quatrième ventricule, recevant brusquement une énorme quantité de liquide qui ne pouvait trouver un écoulement rapide et suffisant par le canal central ou par la petite ouverture de Magendie sous la pie-mère rachidienne, le quatrième ventricule, disons-nous, s’était trouvé tellement distendu qu’il avait éclaté. Il y avait eu, en même temps, dilatation du canal central de la moelle et déchirure de l’ouverture de Magendie. Le choc avait, d’ailleurs, été trop brusque pour que le liquide céphalo-rachidien eût pu être absorbé en quantité suffisante.
« Du reste, d’autres lésions peuvent survenir sur les hémisphères et à leur base. Tout le liquide céphalo-rachidien, chassé de la convexité, afflue vers les espaces de la base dans lesquels il peut s’accumuler et produit une brusque inondation des territoires environnants. Les petits vaisseaux qui traversent ces espaces, ces lacs, sont rompus, les parties voisines sont inondées de sang, et parfois, la substance nerveuse est entraînée et détruite par le flot envahisseur. Dans certains cas, l’arachnoïde viscérale se rompt, et le sang mélangé au liquide rachidien vient immerger la cavité arachnoïdienne, tantôt remonte vers la convexité des hémisphères, tantôt, ce qui est plus fréquent, descend entre les deux parois arachnoïdiennes autour des pédoncules, de In protubérance et du bulbe. »
Telles sont quelques-unes des lésions produites par la compression brusque. M. Duret, et il prouve son assertion par un grand nombre d’expériences, les attribue au choc du liquide céphalo-rachidien. Or, ces lésions, on les rencontre quelquefois fiiez le nouveau-né.
« A part le cas où il y a en même temps fracture du crâne, il est extrêmement rare de trouver du sang épanché entre la dure-mère et les os ; on le rencontre presque constamment dans la grande cavité de l’arachnoïde. Le sang épanché tantôt fluide, noir, visqueux et comme épaissi, tantôt entièrement coagulé, forme une couche assez étendue qui recouvre plus particulièrement la partie supérieure et postérieure des hémisphères du cerveau, le cervelet, la protubérance annulaire, la moelle allongée. Elle s’étend quelquefois en même temps sur toutes les parties que je viens de désigner, mais le plus souvent elle est limitée à la partie postérieure de l’un des hémisphères du cerveau, nu cervelet ou à la moelle allongée. »
Etant donné la grande analogie qui existe entre ces deux descriptions, étant donné cette circonstance que, dans les cas signalés par Jacquemier [4], il n’existait pas de fracture du crâne, n’est-il pas légitime de se demander si ces lésions n’ont pas été produites par la même cause, par l’excès de tension brusquement produite, par le choc céphalo-rachidien, conséquence, dans la seconde série d’observations, d’une application de forceps ?
Il ne serait pas difficile, je pense, de recueillir des faits à l’appui de cette opinion. Tout récemment, nous lisions un travail publié par un auteur allemand, qui avait entrepris des recherches sur l’action que la morphine, administrée à la mère pendant l’accouchement, peut avoir sur le fœtus.
Dix-neuf fois des injections sous-cutanées furent faites, seize fois l’enfant naquit spontanément et vivant, trois fois l’extraction avec le forceps dut être pratiquée; ces trois fœtus vinrent morts, bien que l’obstacle à l’accouchement eût été peu considérable, et l’examen cadavérique montra qu’il existait dans chaque cas une hémorrhagie intra-crânienne.
L’auteur incrimine la morphine ; ne serait-il pas plus légitime, puisqu’elle a été innocente dans seize faits où l’accouchement a été spontané, d’accuser les applications de forceps ?
Du reste, les auteurs classiques donnent avec juste raison le conseil de tirer lentement, progressivement, et d’éviter tout effort brusque.
« Quand l’accoucheur est debout ou appuyé sur un genou, dit M. Tarnier [5] des tractions énergiques, mais progressives, méthodiquement faites, marqueraient en moyenne 45 kilogrammes sur un dynamomètre ; des tractions aidées d’un coup de reins, font, au contraire, monter brusquement le dynamomètre de 80 à 90 kilogrammes. Ces données nous sont fournies, il est vrai, par des expériences faites sur le mannequin, mais sur le vivant le résultat est assurément le même, et il faut en conclure que les tractions doivent être toujours progressives, exemptes de tout effort brusque pendant lequel l’accoucheur perd la notion de la force qu’il déploie. »
Or bien souvent, s’il rencontre une résistance, le médecin cesse de tirer lentement, et alors spontanément, involontairement, il exerce à l’extrémité des branches une pression subite proportionnelle à la traction, afin d’empêcher les cuillers de glisser sur la tête. Les dangers de cette pression (laquelle est d’autant plus considérable que les branches du forceps sont plus longues et la main appliquée plus près de leur extrémité) sont suffisamment démontrés par les expériences de M.Duret.
En effet, le crâne est dépressible, les os qui constituent sa voûte sont mobiles, et toute pression brusque exercée à sa surface sera immédiatement transmise et produira le choc céphalo-rachidien.
Notre collègue n’a pas seulement étudié la compression brusque, il a également fait des recherches sur les phénomènes qui sont la conséquence de la compression lente et progressive.
Cette question a déjà été étudiée par Schwartz, Leyden, Pagenstecher, etc., mais il reste encore bien des inconnues, et les résultats obtenus par M. Duret sont intéressants à noter. Il montre que la compression lente, si elle ne dépasse pas un certain degré et ne persiste pas trop longtemps, n’est pas dangereuse.
Le bulbe n’est, en effet, affecté qu’au moment où le degré de pression est voisin du degré de tension artérielle; plus la pression s’élève, plus le pouls se ralentit (phase de lenteur progressive) ; enfin, lorsque la pression a dépassé notablement la tension artérielle, le pouls devient petit, incalculable, la mort est proche (phase d’accélération terminale). Or, ce ralentissement des bruits du cœur, ce premier résultat de la compression, on l’observe tous les jours pendant le travail lorsque, les membranes étant rompues, la tête est fortement comprimée, sous l’influence de la contraction utérine.
M. Duret, rapprochant ses expériences de celles faites par M. Couty, donne l’explication suivante des phénomènes observés : comme conséquence de la compression il y a une anémie cérébrale et, par suite, une anémie bulbaire ; or c’est le bulbe qui tient sous sa dépendance les centres vasculaires et cardiaques, c’est-à-dire les phénomènes de la circulation.
Donc, la compression lente n’est pas dangereuse si elle est peu considérable et de peu de durée. Il faudrait, à l’aide d’expériences analogues, chercher quelle compression peut subir sans danger la tête fœtale. Ce chiffre trouvé, l’accoucheur saurait qu’il ne doit pas le dépasser sous peine de tuer l’enfant; il ne serait même pas impossible d’arriver à graduer le forceps en conséquence, le médecin opérerait alors avec plus de quiétude, connaissant les limites de la force qu’il lui est permis d’employer.
Ces dernières expériences sur la compression lente, modérée, comparée à la compression brusque, diminuent beaucoup l’importance d’une objection qui a été faite au forceps de M. Tarnier par des accoucheurs éminents de Paris et de Londres.
Ce forceps, on le sait, se compose de quatre branches ; avec deux de ses branches qui sont croisées, on saisit la tête du fœtus (branches de préhension), avec les deux autres, qui sont parallèles, on exerce les tractions nécessaires pour terminer l’accouchement (tiges de traction). Or, pour que les branches de préhension ne glissent point sur l’extrémité céphalique pendant les tractions, on les réunit par une vis mobile placée un peu en arrière de l’articulation, vis dont on fait tourner l’écrou de telle façon que les deux branches de préhension, appliquées sur la tête qu’elles compriment, restent fixées sur elles.
On a beaucoup critiqué l’usage de cette vis et cette pression continue exercée sur la tête pendant la durée de l’extraction, mais en pratique nous n’avons vu aucun inconvénient en résulter ; parfois même M. Tarnier a laissé pendant cinq ou dix minutes entre les branches de son forceps le fœtus qu’il venait d’extraire vivant, sans qu’il parût en souffrir le moins du monde.
Ce résultat peut désormais s’expliquer aisément, puisqu’une compression continue, mais peu considérable, n’est pas dangereuse.
Enfin, dans un autre paragraphe, M. Duret recherche de combien on peut diminuer la capacité du crâne avant d’obtenir des phénomènes de compression. En appliquant à l’adulte le résultat des recherches que Pagenstecher a faites sur le chien, on voit qu’il est possible de diminuer la capacité crânienne de 38 à 40 cent. cubes en moyenne, sans causer de troubles généraux cérébro-bulbaires.
Des expériences et des calculs analogues pourraient être faits utilement pour les nouveau-nés, en tenant compte, bien entendu, des conditions particulières dans lesquelles se trouve la tête encore contenue dans la cavité utérine.
Telles sont les réflexions qui nous ont été suggérées par le travail si remarquable de M. Duret. Les idées que nous avons émises en ce qui concerne les applications de ses conclusions à l’obstétrique ne sont évidemment encore que des hypothèses, mais des hypothèses qui, étant donnés les faits déjà connus, nous semblent rationnelles et intéressantes pour les accoucheurs. Elles montrent on effet de quelle façon vraiment scientifique pourront à l’avenir opérer ceux qui voudront faire de nouvelles recherches sur le degré de compossibilité et de réductibilité que peut subir sans danger la tête fœtale.
[1] Le Progrès médical. 1879. p.162.
[2] Note sur la physiologie pathologique des traumatismes cérébraux. Le Progrès médical. 1877.
[3]* H. Duret : Etudes expérimentales et cliniques sur les traumatismes cérébraux. 1878. Paris.
[4] Jacquemier : Manuel des accouchements. Tome II, p.768.
[5] Tarnier : Article FORCEPS du Nouveau Dictionnaire de médecine et chirurgie pratique. Tome XIV, p. 378.
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