
In La Province Médicale.
On sait que toutes les fois qu’il se produit dans la cavité crânienne une exagération de pression on observe des variations dans l’appareil circulatoire. Ces variations ne sont pas toujours dans le même sens. Elles peuvent affecter l’organe central de la circulation et les vaisseaux. Tantôt on observe un ralentissement du cœur tantôt une accélération de ses battements.
Quant aux phénomènes vaso-moteurs ils sont très fréquents et peuvent être très variés. La cause de ces modifications a été très souvent recherchée, on a fait beaucoup d’hypothèses ; on a beaucoup écrit et il semble résulter de la lecture des nombreux articles de médecine qui ont été consacrés à l’étude de cette question que la plus grande obscurité règne encore sur ce point de pathologie nerveuse.
Dans les affections encéphaliques on voit en effet souvent alterner successivement ou se combiner entre elles des variations cardiaques distinctes : tantôt le cœur se ralentit, tantôt il s’accélère. Quelle est la part de la compression ? Quelle est celle de la fièvre ?
L’expérimentation physiologique peut jeter quelque lumière sur ce sujet et permettre dans une certaine mesure de comprendre le mécanisme des effets produits par la compression du cerveau. De nombreux auteurs ont entrepris l’étude de cette question.
Parmi eux Pagenstecker [1] a bien vu quelle était la suite des accidents entraînés par une compression méthodique du cerveau. Une pression exercée sur le cerveau détermine l’anémie de cet organe. Si la pression exercée à la surface des lobes cérébraux est suffisante pour faire équilibre à la tension du sang artériel, on voit survenir le coma.
Leyden [2] a observé à la suite de la compression du cerveau les accidents suivants. Si l’on porte à 5 cent.mercure la pression exercée à la surface du cerveau il se produit d’abord un ralentissement du pouls, puis à mesure qu’on élève la pression, le ralentissement du pouls s’exagère, la pupille se dilate, la respiration devient rare et irrégulière ; il survient des convulsions quand la pression extérieure atteint 12cent Hg : à 12° Hg coma, accélération du pouls ; puis si on continue à augmenter la valeur de la pression, l’animal meurt.
Nous ne voulons insister ici que sur les modifications éprouvées par l’appareil circulatoire. Les expériences de Pagenstecker et de Leyden si elles nous indiquent bien quelle est d’une manière générale l’effet nocif de la compression du cerveau sont cependant bien incomplètes.
Le mécanisme invoqué pour expliquer ces accidents est l’anémie déterminée par la compression, mais nous verrons que si au premier abord cette explication parait toute naturelle elle ne donne pas entière satisfaction à l’esprit. C’est à François Franck [3] que nous devons les connaissances les plus précises sur cette question.
Dans deux mémoires il étudie les effets de la compression du cerveau :
Dans un premier article il enregistre les effets d’une compression méthodique, graduelle dont la valeur peut être mesurée. Dans un second il se préoccupe surtout de savoir quels seront les troubles produits par une compression brusque, par un choc, équivalent à la commotion cérébrale.
Examinons d’abord le premier cas. La compression est exercée à la surface du cerveau par de l’air comprimé. C’est en définitive la meilleure méthode. Les injections d’eau telles que les pratiquaient Malgaigne p. ex., sont très mauvaises. L’eau altère la substance cérébrale et diffuse dans le cerveau. L’emploi de l’air comprimé est préférable, à condition toutefois que la pression s’exerce par l’intermédiaire d’une membrane de caoutchouc qui pèse alors directement sur la substance cérébrale et empêche l’air de pénétrer dans les veines. Dans ces conditions François Franck toujours t observé un ralentissement du cœur. Il est à remarquer que ce ralentissement se montre bien avant que la compression cérébrale ait atteint le chiffre de la pression normale du sang. Ce point est très intéressant au point de vue de l’explication du mécanisme de l’action de la compression cérébrale. Leyden l’avait déjà remarqué. François Franck a varié beaucoup ses expériences. Au lieu d’exercer ainsi que nous venons de le décrire une pression sur le cerveau de dehors en dedans, il a, dans d’autres essais, augmenté la pression dans les artères et étudié les effets provoqués par cette augmentation de pression de dedans en dehors sur les cellules cérébrales. Les résultats obtenus sont les mêmes. Si l’élévation de pression est considérable, il y a arrêts du cœur, si elle est moindre, il y a seulement ralentissement.
L’expérience est instituée de la manière suivante : on isole l’encéphale de la circulation générale, on soumet cet organe à une circulation artificielle de sang défibriné. Les artères vertébrales sont liées de manière à supprimer toute circulation collatérale. On introduit dans le bout périphérique des carotides une canule bifurquée qui est mise en rapport avec un réservoir de sang défibriné sous pression et à la température de 20° environ. L’écoulement du sang se fait par les veines jugulaires. Les veines vertébrales sont liées. Sur le trajet du tube qui relie le réservoir de sang défibriné aux carotides, on place une ampoule en caoutchouc qui permet d’augmenter à volonté la pression dans les artères du cerveau. On sectionne la moelle au-dessous du bulbe. On inscrit la pression dans la fémorale. Somme toute, le cerveau est en communication avec le reste du corps seulement par le tronc du vago-sympathique Or une élévation de pression dans le cerveau, détermine dans ces conditions une grande chute de la pression et l’arrêt ou tout au moins un grand ralentissement du cœur. François Franck obtient les mèmes effets encore plus simplement en faisant arriver dans une carotide grâce à un dispositif spécial du sang dans le réseau encéphalique sous une pression plus forte que la pression générale. On peut aussi diminuer l’écoulement du sang veineux retour du cerveau. On le voit, l’arrêt ou le ralentissement du cœur est lié à une augmentation de la pression dans les vaisseaux cérébraux. Cette action s’exerce par l’intermédiaire du vague, car si on sectionne ce nerf, l’augmentation de pression dans le crâne reste sans effet sur le cœur.
Dans un deuxième article, François-Franck étudie le choc cérébral. C’est toujours au moyen de l’air comprimé qu’il détermine l’excitation de la surface cérébrale après trépanation. Un robinet permet de faire communiquer brusquement la cavité crânienne avec un réservoir d’air comprimé ; une soupape laisse aussitôt après l’air s’échapper. Là encore, on observe l’arrêt du cœur. Il est à remarquer aussi comme précédemment que la valeur manométrique du choc peut être de beaucoup inférieure à celle de la pression artérielle et cependant amener un arrêt du cœur. L’anémie semblerait donc encore hors de cause. L’auteur fait remarquer de plus que si l’animal se débat il n’y a pas d’arrêt. Or dit-il, un effort violent provoque une accélération des battements du cœur et une élévation de la pression artérielle. Il suppose que la persistance de la circulation encéphalique empêche les effets du choc de se produire. Le choc déterminerait une constriction vasculaire réflexe passagère qui serait la condition de l’arrêt du cœur. Le mécanisme ici, serait le suivant : anémie du cerveau, anémie produite non pas mécaniquement mais par un resserrement réflexe des vaisseaux du cerveau.
François Franck à l’appui de sa thèse apporte des arguments, qui tous n’ont pas la même valeur. Chez les animaux suffisamment curarisés dit-il pour que la contractilité réflexe des vaisseaux ait disparue, il n’y a pas cet arrêt. Le chloroforme, le chloral agiraient de même. Or le chloral paralyse les vaso-moteurs etc.. Aujourd’hui, peut être que M. Franck n’attacherait plus la même importance à ces arguments. Ne peut on pas supposer que le curare agit non pas en supprimant la contractibilité réflexe des vaisseaux, mais en paralysant les vagues. Le curare a dose massive paralyse comme on sait les nerfs sympathiques. Il est probable que c’est le mécanisme réel du phénomène.
François Franck a vu que si on avait préalablement rationné les vagues, l’arrêt du cœur ne se produirait plus sous l’influence de la compression graduelle, lente du cerveau. Si, au lieu d’une compression méthodique, on exerce un simple choc, il en est de même. Quant au curare, il agit à dose massive en paralysant les nerfs vagues. Les phénomènes produits par la compression du cerveau nous paraissent absolument de même nature que ceux obtenus par l’électrisation de l’écorce. Nous ne rappellerons pas les travaux de Danilewsky, Bochefontaine et Lépine, François Franck, etc. sur ce sujet. Nous dirons seulement que l’on admet généralement les propositions suivantes :
L’excitation du cerveau détermine des effets cardiaques et des effets vasculaires. Le cœur peut s’accélérer ou se ralentir. Généralement il se ralentit. Il ne semble pas qu’il y ait cependant de territoires modérateurs ou accélérateurs.
En général, on se range à l’opinion de François Franck, qui considère la surface cérébrale comme comparable à une surface sensible simple point de départ de réactions cardiaques. En ce qui concerne les effets vaso-moteurs, ils suscitent les mêmes remarques. Le cerveau ne paraît pas renfermer de centres vaso-moteurs. Ceux-ci sont dans la moelle et le bulbe. Les expériences d’Eulenburg et Landois [4] ne paraissent pas en effet très concluantes. On sait que ces auteurs admettent l’existence de centres vaso-moteurs dans l’écorce cérébrale. Il est bien plus probable que l’écorce cérébrale est simplement le point de départ d’excitations sensitives qui se transmettent aux centres vasomoteurs du bulbe et de la moelle.
M. Colrat et moi nous avons entrepris quelques expériences dans le laboratoire de M. le professeur Morat. Ces expériences sont confirmatives de celles qu’a publiées François Franck. Nous avons vu que la compression du cerveau, graduelle, lente ou rapide (une simple injection d’air p. ex.) provoque toujours un ralentissement du cœur. Si ensuite on sectionne les vagues et si on renouvelle le compression il n’y a plus aucun effet cardiaque, dans tous les cas.
A la suite de la compression, on observe toujours des oscillations très curieuses de la pression artérielle.
Au moment même de la compression, que les vagues soient coupés ou non, qu’il y ait ralentissement du cœur ou non, la pression artérielle s’élève.
Ce fait était signalé. Mais il y a plus, pendant un certain temps on peut observer des oscillations très curieuses de la pression. La courbe décrite sur le tracé présente des festons, des ondulations régulières. Ces particularités du tracé, ces oscillations de la pression ne peuvent être mises que sur le compte de troubles vaso-moteurs consécutifs à une excitation réflexe, partie de l’écorce, des centres vaso-moteurs de la moelle. Nos animaux étaient curarisés « à la limite », c’est-à-dire on donnait une dose de curare suffisante pour paralyser les nerfs moteurs volontaires tout en laissant intacte l’excitabilité des nerfs sympathiques, celle du nerf vague en particulier. Quand les vagues ne sont pas coupés, en même temps que le ralentissement du cœur on observe parfois au lieu d’une élévation, une baisse de la pression. Ceci s’explique facilement. François Franck [5] a longuement insisté sur l’indépendance des phénomènes vaso-moteurs et cardiaques qui succèdent à une excitation électrique de l’écorce cérébrale. Il en est de même pour la compression du cerveau. Qu’il s’agisse d’une excitation électrique de l’écorce ou de la compression du cerveau, le mécanisme des troubles cardiaques et vaso-moteurs est très certainement de même.
Ces troubles sont dus à une excitation réflexe, partie du cerveau, des centres bulbaires et médullaires. La prédominance des uns ou des autres donnera au tracé ses variations caractéristiques. Les effets cardiaques et vaso-moteurs sont indépendants les uns des autres.
[1] PAGENSTECKER : Experim. und studien uber die Gehirndruck, Heidelberg, 1862.
[2] LEYDEN : Beitrage und Untersuchungen zur Physiol und Pathologie des Gehirn’s. Virschow, Arch. 1866.
[3] FRANCOIS FRANCK : Travaux du laboratoire de Marey. 1877.
[4] EULENBURGER-LANDOIS : Med.Centralblatt, Virchow’s, Berlin Klin woch.1876.
[5] FRANCOIS FRANCK : Fonctions motrices du cerveau. 1884.
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