
In Revue Pratique d’Obstétrique et de Puériculture. Décembre 1956, N°10, pages 298-316.
Leçon faite le 10 octobre 1956 au cours de perfectionnement des Sages-Femmes (Maternité de Port-Royal)
Si quelques-unes d’entre vous m’ont demandé de vous parler des hémorragies nerveuses du nouveau-né, c’est, j’en suis sûr, parce qu’il s’agit d’accidents fréquents et graves, et qu’elles espèrent trouver dans cet exposé quelques renseignements utiles pour leur pratique.
A – ANATOMIE PATHOLOGIQUE
Et d’abord, pour y voir clair, examinons les lésions. Elles sont infiniment plus complexes qu’on ne l’imagine. Elles débordent souvent le système nerveux et s’étendent à tout l’organisme.
I – Les lésions nerveuses.
1°) LES HÉMORRAGIES sont tantôt circonscrites, tantôt diffuses.
Circonscrites : leur source UNIQUE est un seul gros vaisseau. Il s’agit exceptionnellement d’une artère, plus souvent d’une veine, d’un sinus, de la veine de Gallien quand se déchire, par exemple, la tente du cervelet. A l’origine, on trouve souvent un traumatisme précis.
Diffuses, ce qui est plus fréquent, elles sont provoquées par la rupture de petites veines ou de capillaires en grand nombre. En même temps que diffuses, elles sont donc multiples. En surface, elles forment, sous et dans la pie mère, des plages cruoriques disséminées sur la convexité et la base du cerveau. En profondeur, un pointillé rouge, plus ou moins serré, marquer sur les coupes, l’éclatement des fins vaisseaux cérébraux. Dans l’étiologie, la notion d’anoxie prime ou complète celle du traumatisme.
La disposition topographique des hémorragies présente un certain intérêt. On distingue :
- l’hématome sus-dural qui s’épanche entre l’os et la dure mère.
- l’hématome sous-dural, qui siège entre la dure mère et l’arachnoïde.
- l’hémorragie sous arachnoïdienne dans laquelle le sang se mêle au liquide céphalo-rachidien.
- l’hémorragie cérébro-méningée ou coexiste l’hémorragie cérébrale et l’hémorragie sous arachnoïdienne ; c’est la forme la plus fréquente chez le nouveau-né.
- l’hémorragie cérébrale.
- l’hémorragie ventriculaire.
Surtout quand elles sont diffuses, les hémorragies s’associent le plus souvent à d’autres altérations.
2°) LA CONGESTION ET LA DILATATION vasculaires sont parfois énormes. Elles portent sur les veines et les capillaires des méninges et du cerveau.
3°) L’OEDÈME est tout aussi constant. Il est souvent invisible à l’œil nu, car il forme, sous la pie mère, des nappes ou des bulles à contenu séreux, citrin, parfois gélatiniforme.
4°) Un mot reste à dire DES CELLULES NERVEUSES ELLES MÊMES. Environnées par tous ces désordres, elles n’y restent pas indifférentes. Leur nutrition est compromise. Leur souffrance s’exprime, pour un temps, par des troubles fonctionnels réversibles, puis par des altérations définitives, cause de mort ou de séquelles durables. Tels sont les dégâts nerveux. Il convient maintenant de les situer dans leur contexte lésionnel de :
Il – Lésions à distance.
Ces altérations comportent, avant tout, des anomalies pulmonaires et des modifications vasculaires généralisées.
1°) LES ANOMALIES PULMONAIRES sont faites d’atélectasie plus ou moins étendue, d’aspiration bronchique de liquide amniotique, d’œdème, d’intense congestion du réseau capillaire.
2°) LES MODIFICATIONS VASCULAIRES GÉNÉRALISÉES sont à l’image de celles constatées dans le poumon. La congestion et la dilatation des petits vaisseaux sont parfois si marquées qu’elles aboutissent à de multiples apoplexies viscérales. On peut les interpréter, en partie du moins, comme des troubles réflexes déclenchés par l’atteinte cérébrale.
Ces lésions à distance ne sont pas absolument constantes, mais elles sont assez fréquentes pour que leur existence ne soit pas fortuite. Elles nous apparaîtront, étrange constatation, à la fois comme des conséquences et comme des causes aggravantes des lésions nerveuses.
B – ETIOLOGIE – PATHOGENIE
Le mode de production des hémorragies nerveuses présente un intérêt majeur. Sa connaissance est le fil d’Ariane qui nous permettra d’éviter, dans la mesure du possible, ces terribles accidents. Plusieurs facteurs interviennent.
I – Les manœuvres obstétricales traumatisantes.
Les manœuvres obstétricales traumatisantes sont la première raison qu’on puisse invoquer. Mais une pareille éventualité, en raison des progrès de l’art obstétrical, devient, de nos jours et dans nos maternités, vraiment exceptionnelle. Et d’ailleurs, des dégâts osseux même importants ne s’accompagne pas forcément d’hémorragies cérébro-méningées. Dans les deux derniers cas de fracture du crâne avec embarrure que nous avons fait opérer, il n’existait aucune complication neurologique.
II – Les anomalies du travail.
En l’absence habituelle d’intervention brutale, la notion de « traumatisme obstétrical » réside essentiellement dans les ANOMALIES DU TRAVAIL.
Il faut dénoncer les dangers d’un TRAVAIL TROP LONG et donc ceux d’une présentation vicieuse, d’un bassin dystocique, d’une dilatation ou d’une expulsion trop laborieuses, d’un excès de volume fœtal. La 15ème heure du travail est en quelque sorte, « un seuil critique » au-delà duquel s’assombrit le pronostic infantile.
Du même ordre sont les méfaits d’un TRAVAIL TROP ÉNERGIQUE : contractions trop rapprochées ou trop violentes, contracture utérine, qui sont parfois le résultat des ocytociques employés sans prudence.
Ne valent pas mieux LES ACCOUCHEMENTS TROP RAPIDES « en BOULETS DE CANON » qui favorisent l’éclatement des vaisseaux cérébro-méningés.
Dans l’aventure que représentent pour le fœtus les anomalies du travail, il faut retenir le rôle protecteur des membranes.
Leur rupture prématurée favorise les altérations nerveuses. Les contractions utérines anormales sont assurément dangereuses par les pressions qu’elles exercent sur la tête fœtale.
Mais le traumatisme qu’elles détermine n’est pas seulement «mécanique » il est aussi « chimique », par le détour de l’anoxie fœtale. Expliquons-nous.
III – L’anoxie fœtale (1).
L’anoxie fœtale résulte habituellement d’une insuffisance de la circulation placentaire ou foetale. Elle peut être provoquée par un accident : grave hémorragie maternelle, hématome rétro-placentaire, décollement prématuré du placenta, compression d’un cordon procident, circulaire serré.
Elle dépend bien plus souvent des modalités du travail, car chaque contraction utérine diminue le calibre et le débit des vaisseaux qui se rendent au placenta. Toutes les anomalies du travail déjà signalées deviennent ainsi une cause évidente d’anoxie.
Le fœtus, sans doute, résiste assez bien à la privation d’oxygène, mais, à la longue, tout se passe comme si l’organe fœtal le plus sensible à l’anoxie était le système nerveux central.
Au début, le manque d’oxygène et l’excès de gaz carbonique excitent les centres respiratoires et déclenchent in utero, des inspirations intempestives. Du liquide amniotique est aspiré dans les voies aériennes, phénomène susceptible de mettre plus tard l’enfant dans un péril mortel.
Puis, à ce stade de désordres fonctionnels, succède une période d’altérations anatomiques véritables. L’anoxie se comporte comme un traumatisme chimique. Les lésions frappent d’abord les capillaires : congestion, altérations endothéliales, troubles de la perméabilité, œdèmes, suffusions hémorragiques. C’est le type même des hémorragies petites et diffuses décrites au chapitre de l’anatomie pathologique.
(1) Anoxie veut dire insuffisance d’oxygène dans le sang.
IV – L’anoxie néo-natale.
Souvent préparée par l’asphyxie intra-utérine, l’anoxie peut apparaître ou s’aggraver après la naissance.
Soulignons d’emblée le danger pressant de la privation d’oxygène chez le nouveau-né. A l’anoxie, il résiste beaucoup moins bien que le fœtus ; les dégâts anatomiques sont ici plus rapides. Une réanimation un peu prolongée (certains disent au-delà de 15 minutes) risque d’entraîner d’irrémédiables séquelles nerveuses.
A l’insuffisance de l’hématose chez le nouveau-né, président deux mécanismes essentiels :
- la défaillance pulmonaire,
- le collapsus cardio-vasculaire.
1°) LA DÉFAILLANCE PULMONAIRE est un phénomène complexe que suscitent :
- l’altération des centres nerveux respiratoires (hémorragies ou œdèmes cérébro-méningés, intoxication par les anesthésiques ou les analgésiques fournis à la mère).
- la faiblesse des muscles respiratoires (prématuration, débilité congénitale).
- l’encombrement des voies aériennes par les aspirations antécédentes de liquide amniotique.
- l’alvéolite œdémateuse et hémorragique du poumon « cérébral », résultat des troubles vaso-moteurs déclenchés par les lésions du système nerveux central.
- l’atélectasie plus ou moins massive, c’est-à-dire l’absence du déplissement alvéolaire.
2°) LE COLLAPSUS CARDIO-VASCULAIRE.
A rien ne sert une magnifique ventilation respiratoire, si la circulation pulmonaire n’est pas en même temps parfaite et n’amène pas correctement les globules rouges au contact de l’oxygène. Or que montre l’anatomie pathologique au cours des hémorragies cérébro-méningées ? Nous l’avons vu, une énorme vaso-dilatation périphérique, un collapsus vasculaire qui soustrait au courant sanguin une quantité importante de liquide et fait sombrer la tension artérielle.
Nous voici dans un véritable « état de choc » qui compromet l’hématose et favorise l’anoxie.
V – Le terrain.
Et pour comble d’infortune, cette série de cataclysmes s’abat sur un terrain fragile.
Si le nouveau-né à terme a des vaisseaux solides, le prématuré, tout au contraire, se distingue par son ÉTONNANTE FRAGILITÉ CAPILLAIRE. Les grands prématurés font des hémorragies cérébro-méningées quasi spontanées au cours d’accouchements tout simples et cet accident représente chez eux une cause capitale de mortalité. D’où la conduite obstétricale pleine d’infinies précautions, que nécessite la naissance d’un prématuré.
Ultime mésaventure : qu’il soit à terme ou non, le nouveau-né présente assez souvent des troubles de la coagulation sanguine.
Ceux-ci se manifestent parfois dès la naissance, mais le plus souvent dans les 3 ou 4 jours qui la suivent par la survenue d’hémorragies variées, à l’occasion cérébro-méningées.
C’est la maladie « hémorragique du nouveau-né » fréquemment liée au défaut de vitamine K.
VI – L’interdépendance de ces divers mécanismes.
A la suite de cet exposé analytique, la production des hémorragies cérébro-méningées paraît, certes, bien complexe.
Dans la réalité, plusieurs facteurs interviennent chaque fois. Non seulement les dégâts nerveux, pulmonaires, circulatoires s’ajoutent, mais ils sont encore INTERDÉPENDANTS ET SOLIDAIRES s’intriquant, se commandant, se compliquant mutuellement.
Quand les uns débutent, les autres s’en suivent. Très vite le nouveau-né est enfermé dans leur cercle menaçant.
Un exemple ? Souffrance fœtale ; aspiration bronchique de liquide amniotique ; atélectasie et anoxie néo-natale : apparition ou aggravation des lésions nerveuses ; gêne respiratoire accrue ; collapsus circulatoire périphérique ; et ainsi de Charybde en Scylla, car « l’anoxie appelle l’anoxie ».
Vous pouvez imaginer d’autres points de départ ; les enchainements inéluctables seront les mêmes et les lésions nerveuses toujours importantes.
C – CLINIQUE
Anatomie pathologique et Pathogénie nous font comprendre que chez le nouveau-né les hémorragies nerveuses les plus fréquentes sont les FORMES CÉRÉBRO-MÉNINGÉES. Ce sont elles que nous décrirons en premier. Elles réalisent différents tableaux :
I – L’enfant nait mort et… c’est tout.
Il – L’enfant nait en état de mort apparente.
Je me garderai bien de vous infliger la description trop connue de cet état. Une remarque cependant : l’hémorragie cérébro-méningée n’en est pas la seule cause. Mais, quand elle entre en jeu, la réanimation est lente et ne donne pas entière satisfaction, car s’installe un tableau particulier :
III – L’état comateux des premières heures (Robert WAITZ).
1°) TROUBLES NERVEUX.
Le bébé est comateux ou subcomateux. Les yeux fermés, il pousse de faibles gémissements continus ou intermittents. Il ne crie jamais franchement. Il demeure immobile. Même au cours de l’examen, les mouvements spontanés sont pauvres. L’hypotonie musculaire est habituelle et profonde. La nuque, les membres sont mous et flasques ; les réflexes tendineux sont abolis, et avec eux, tout ou partie des grands réflexes néonataux : le signe de Moro ; le redressement ; la marche ; la préhension; le mouvement de ressort au niveau des coudes, des genoux, des pieds ; le réflexe de succion.
Il est plus rare de noter des signes d’excitation, une hypertonie segmentaire plus ou moins brève, quelques convulsions parcellaires.
Toute cette expression neurologique traduit plus la souffrance du cerveau que celle des méninges.
2°) TROUBLES RESPIRATOIRES.
Ils constituent avec les troubles nerveux, la dominante du tableau clinique.
Le signe le plus frappant est la cyanose. Discrète, elle est localisée au niveau des ongles, au pourtour de la bouche. Plus intense, elle se généralise et devient noire. De tels paroxysmes coïncident avec des phases d’apnée ; ils sont provoqués par des soins, une tentative d’examen, ou d’alimentation ou surviennent spontanément. Ils représentent une phase spécialement critique, qui peut se terminer par la mort. C’est pourquoi de tels enfants exigent, en permanence, auprès d’eux une garde qui puisse leur porter secours dès que s’accentue la défaillance respiratoire.
Au demeurant la respiration est petite, superficielle, irrégulière, accélérée ou interrompue. Il arrive qu’elle soit ample et rapide ; on voit des enfants respirer vite, comme des forcenés « en soufflet de forge » . Une telle éventualité se termine toujours mal. En outre, la respiration peut être bruyante, gargouillante, encombrée de mucosités ou de mousse œdémateuse, ce qui nécessite des aspirations répétées.
Le tirage est fréquent. A son maximum, il creuse un entonnoir sternoxyphoïdien, qui s’exagère à chaque inspiration.
La percussion douce révèle des zones de submatité ou de matité au regard des régions pulmonaires mal déplissées.
A l’auscultation, le murmure vésiculaire est faible ou inaudible. Des râles fins éclatent ou bien isolés ou bien serrés en bouffées denses.
3°) TROUBLES CIRCULATOIRES.
Le cœur est lent ou accéléré. La tension artérielle, souvent très basse, est difficile à prendre.
Des ecchymoses ou des pétéchies, des hémorragies viscérales manifestent la fragilité capillaire ou les troubles de la coagulation.
4°) TROUBLES GÉNÉRAUX.
L’enfant est refroidi. Le thermomètre baisse jusqu’à 34°, 33° ou même plus bas.
5°) EXAMENS COMPLÉMENTAIRES.
Dès qu’on peut les pratiquer sans danger, deux examens fournissent des renseignements intéressants.
La ponction lombaire sera faite de préférence en position couchée. Ses résultats sont indispensables pour confirmer le diagnostic d’hémorragie cérébroméningée.
La radiographie thoracique précise mieux que la clinique l’état pulmonaire. En outre, elle apporte parfois des révélations inattendues sur d’éventuelles anomalies du cœur, du thymus, du médiastin, du diaphragme.
6°) EVOLUTION.
L’évolution d’un tel syndrome est sévère. Beaucoup d’enfants meurent et meurent VITE. Ils sont emportés en 24 ou 48 heures, de plus en plus refroidis, comateux et cyanosés.
Mais, quand est franchi le cap des deux premiers jours les chances de survie deviennent assez bonnes ; on arrive au tableau classique de :
IV – L’hémorragie cérébro-méningée au-delà des deux premiers jours.
Cet aspect peut se constituer lentement, sans que le nouveau-né ait traversé les terribles alarmes qu’on vient de décrire.
1°) TROUBLES NERVEUX.
L’enfant est moins inconscient. Il s’éveille par moments. Il gémit moins et crie mieux ; quelques mouvements spontanés apparaissent au cours de l’examen. Les grands réflexes sont encore troublés mais commencent à s’ébaucher.
L’hypotonie musculaire est moins profonde ou s’efface. Tout au contraire c’est le moment où s’installent et s’exagèrent des phénomènes d’excitation : raideur de la nuque, du rachis et des membres. Ces derniers se mettent parfois en flexion dans des attitudes qui rappellent celles de la tétanie.
C’est aussi la période des convulsions. Elles sont toniques ou cloniques, plus ou moins fréquentes, plus ou moins généralisées. Il faut savoir regarder longuement pour constater des crises frustes, localisées : simple révulsion ou petites secousses des globes oculaires, discrètes myoclonies des muscles du visage ou des doigts. Très souvent des accès de cyanose plus ou moins brefs traduisent la contracture passagère des muscles respiratoires ou laryngés.
Dès cette phase, il convient de rechercher l’existence de déficits moteurs même discrets et d’étudier leur répartition ; ils sont l’ébauche de parésie ou de paralysies qui peut être régresseront, peut être deviendront définitives.
2°) LES TROUBLES RESPIRATOIRES s’atténuent peu à peu, non sans provoquer encore de sérieuses émotions.
3°) L’ÉTAT GÉNÉRAL, sans susciter les craintes initiales, n’est pas satisfaisant. La fièvre peut apparaître, plus ou moins élevée et irrégulière. La courbe pondérale est fâcheuse.
4°) EVOLUTION : D’habitude, en 10 à 15 jours, les troubles s’apaisent. L’enfant a la vie sauve. Avec ou sans séquelles psychomotrices ? Si non le présent, l’avenir le dira.
V – La ponction lombaire.
Pendant toute l’évolution de l’hémorragie cérébro-méningée, la ponction lombaire apporte des renseignements indispensables.
L’aspect macroscopique du liquide est capital. Dans les 2 ou 3 premiers jours, il est hémorragique, tantôt à peine rosé, tantôt franchement rouge, et cette coloration est égale, ou peu s’en faut (1), dans trois tubes successifs.
Le sang ne coagule pas ; les globules rouges se sédimentent au fond du tube, le liquide surnageant est clair ou à peine rosé.
Du 3éme au 10éme jour, le culot hématique s’amenuise puis disparait. Le liquide perd son aspect hémorragique, il devient jaune, xanthochromique. Cette teinte qui résulte de la transformation de l’hémoglobine en pigments biliaires est un excellent signe d’hémorragie méningée. Elle peut exister dès les premiers jours lorsque l’hémorragie est de faible importance. Toutefois quand l’enfant est ictérique, l’aspect jaune du liquide céphalo-rachidien perd sa valeur pathognomonique et le diagnostic ne peut se baser sur cette unique constatation.
Du 10ème au 15ème jour le liquide redevient clair « eau de roche »
La taux d’albumine élevé au début (0 gr. 50 à 2 grammes) retourne à la normale dans le même délai.
Au point de vue cytologique, les globules rouges, en nombre très variable au début (d’une vingtaine à 50.000 et plus par mm3) s’altèrent très vite et disparaissent en une dizaine de jours.
Les éléments blancs (10 à 300 ou 400 mm3) sont représentés au début par des leucocytes et. des cellules endothéliales et réticulées. Ultérieurement, sans que leur nombre augmente, bien au contraire, se dessine une RÉACTION MÉNINGÉE ASEPTIQUE comportant des plasmocytes, des cellules épithélioïdes avec surcharges pigmentaires. Ces modifications disparaissent en 15 à 20 jours.
(1) WAITZ a quelquefois rencontré de notables variations de teinte d’un tube à l’autre. Il attribue ce phénomène « à la grande variété des lésions, dont la ponction draine successivement les divers territoires » .
D – FORMES CLINIQUES
I – L’hématome extra-dural.
L’hématome extra dural est un accident absolument exceptionnel. A la suite d’une fracture du crâne, d’origine obstétricale, survient une déchirure de l’artère méningée moyenne ou d’une de ses branches. Le coma est immédiat ou rapide. L’enfant meurt, à moins qu’il ne soit vite opéré, pour évacuer l’hématome et lier le vaisseau qui saigne.
II – L’hématome sous dural.
L’hématome sous durai est une collection hématique circonscrite. Dites-vous qu’elle se développe entre la dure-mère et l’arachnoïde. Ce n’est peut-être pas pleinement exact, mais qu’importe ? La paroi externe dure-mérienne est assez épaisse, tapissée de caillots anciens et parcourue de vaisseaux dilatés et fragiles. La paroi interne, arachnoïdienne est, au contraire toute mince. La poche ainsi limitée est plus ou moins étendue. Elle peut recouvrir, de haut en bas et d’arrière en avant, toute la face externe de l’hémisphère correspondant. Le contenu est du sang qui, suivant son ancienneté paraît rougeâtre, brunâtre, ou jaunâtre. Parfois le liquide est devenu clair comme de l’eau. C’est « l’Hydrome » de certains auteurs. Deux notions anatomiques sont encore dignes d’intérêt : l’hématome sous dural trois fois sur quatre est bilatéral, mais d’inégale importance des deux côtés.
Enfin c’est une lésion souvent évolutive qui s’amplifie lentement au long des semaines. Le liquide s’accroit pour des raisons mal élucidées : persistance de petites hémorragies répétées ; infiltration de liquide céphalo-rachidien par osmose à travers la mince paroi arachnoïdienne.
Quelle est la cause de cette curieuse lésion ? Une fois sur cinq ou six, un traumatisme d’origine obstétricale en est responsable. Hormis cette éventualité, la maladie paraît SPONTANÉE. C’est alors qu’on a parlé d’une inflammation et d’un épaississement de la dure-mère, autrement dit « d’une pachyméningite hémorragique » dont l’origine reste d’ailleurs mystérieuse.
L’hématome sous-dural est plus une maladie du nourrisson que du nouveau-né. Après un traumatisme obstétrical, il ne se manifeste que vers 1 ou 2 mois. Quant aux cas soi-disant spontanés, ils surviennent chez des bébés encore plus âgés.
Pourquoi donc en parler ici ? Parce que sa connaissance n’est pas encore très vulgarisée et que son traitement comporte fréquemment un acte chirurgical qu’il faut savoir proposer.
L’hématome sous dural se traduit par des signes d’hypertension intra-crânienne. Sauf exception, le début est insidieux.
L’état général périclite : arrêt de croissance, perte de l’appétit, vomissements.
La survenue de troubles neurologiques est plus évocatrice : modifications du caractère, cris nocturnes, et surtout crises convulsives partielles ou généralisées, strabisme, parésies plus ou moins étendues.
Les modifications du crâne revêtent une importance capitale : Fontanelles tendues, élargissement des sutures, augmentation progressives du périmètre et des diamètres crâniens.
Pour découvrir ces anomalies il faut les chercher soigneusement ; elles n’ont pas l’ampleur qu’elles prennent au cours de l’hydrocéphalie.
Dès lors trois recherches d’inégale importance sont utiles. L’examen du fond d’œil montre des vernes dilatées et des hémorragies rétiniennes. L’œdème de la papille est exceptionnel puisque le crâne, en se laissant distendre, limite l’hypertension intra-crânienne.
La ponction lombaire donne un liquide un peu tendu mais à peu près normal.
Le geste décisif reste à faire : c’est la ponction de la grande fontanelle. L’aiguille est enfoncée dans l’angle externe ; aussitôt traversé le plan résistant, on pénètre, au bout de quelques millimètres, dans la poche de l’hématome et l’on obtient un liquide sanglant ou xanthochromique. Le diagnostic est fait.
Pour plus de précision on peut injecter quelques cm3 d’air, grâce à quoi des radiographies prises sous diverses incidences permettent de déterminer les dimensions de l’hématome. Ne pas oublier de ponctionner les deux côtés successivement, puisque trois fois sur quatre la lésion est bilatérale.
L’hématome sous dural peut guérir spontanément. C’est rare. A la longue, le liquide se résorbe, au risque de laisser de lourdes séquelles psychomotrices.
Plus souvent la mort survient : soit que l’hématome s’infecte et se transforme en abcès, soit que s’aggravent les troubles cérébraux.
Un traitement s’impose donc :
Médical, il consiste en de petites ponctions fréquemment répétées qui peuvent tarir l’épanchement – non toujours, malheureusement. Le neuro-chirurgien doit alors intervenir : trépanation, drainage, avec ou sans excision des parois de l’hématome.
Au bout du compte, 2/3 de guérisons parfaites, 1/3 de décès ou de graves séquelles.
III – L’hémorragie sous-arachnoïdienne.
En raison de sa topographie, cette localisation se distingue, sur le plan clinique, par son expression, avant tout méningée, en contraste avec la relative discrétion des signes cérébraux.
Les premières heures n’éveillent point ici les profondes alarmes de la forme cérébro-méningée. Avec une certaine lenteur, s’installent, en 2 ou 3 jours, les éléments « d’un syndrome méningé » dans toute sa pureté.
Ce qui domine, ce sont les contractures : raideur de la nuque, du rachis et des membres qui, lorsqu’elle est suffisante détermine une attitude en opisthotonos. Il en résulte une réduction de la motilité spontanée et un trouble des grands réflexes néonataux.
La fontanelle peut être tendue, avec des battements atténués ou absents ; mais ceci est inconstant.
Les convulsions localisées ou généralisées ne sont pas exceptionnelles et traduisent l’irritation par contiguïté de l’écorce cérébrale.
A cela s’ajoutent quelques troubles vaso-moteurs (alternatives de rougeur et de pâleur) et quelques anomalies respiratoires : troubles du rythme et accès de cyanose.
L’état général est atteint : l’enfant a de la fièvre, boit mal vomit, maigrit ou pousse mal.
La ponction lombaire fournit un liquide sanglant et confirme le diagnostic.
L’évolution est variable.
Elle est parfois grave, en particulier lorsque l’hémorragie est abondante ou qu’elle survient chez les prématurés qui n’ont guère besoin de cette complication pour tomber en péril. Troubles respiratoires et coma conduisent à la mort.
Mais le plus souvent, en 8 ou 10 jours, les troubles s’atténuent et l’enfant guérit : guérison qui a plus de chance d’être définitive et complète que dans la forme cérébro-méningée.
Ribadeau-Dumas a même décrit des formes mineures de l’hémorragie sous arachnoïdienne. Ici aucune expression neurologique, seulement des troubles de l’état général : température instable, appétit médiocre, quelques vomissements, croissance nulle. Une ponction lombaire systématique montre un liquide hypertendu, à peine jaune, riche en albumine. Il s’agit autant d’un œdème méningé que d’une hémorragie. La ponction fait le diagnostic, et, par surcroit, en diminuant la tension intra-crânienne, elle efface tous les ennuis.
IV – L’hémorragie ventriculaire.
L’hémorragie ventriculaire, plus encore que les autres formes topographiques, se voit chez les prématurés.
Le sang provient habituellement des ventricules latéraux, moins des plexus choroïdes que des fins vaisseaux qui courent sous l’épendyme. li se répand en général dans toutes les cavités intra-cérébrales jusqu’au quatrième ventricule.
L’hémorragie ventriculaire est souvent isolée mais non toujours.
Elle n’a guère d’individualité clinique et comporte les mêmes symptômes que l’hémorragie cérébro-méningée. Toutefois lorsqu’elle est seule en cause, la ponction lombaire peut fournir un liquide normal, ce qui ne facilite pas son diagnostic.
Elle entraîne presque toujours la mort, et sa découverte est bien souvent une surprise d’autopsie.
E – DIAGNOSTIC
Le diagnostic des hémorragies cérébro-méningées du nouveau-né demande sa confirmation aux résultats de la ponction lombaire.
La première erreur qu’il faut éviter est de prendre pour une hémorragie méningée la piqûre accidentelle d’un vaisseau ; en théorie rien de plus facile que cette distinction.
Hémorragie méningée = liquide également coloré dans trois tubes successifs et ne coagulant pas.
Accident de ponction = liquide inégalement teinté dans les trois tubes et coagulant spontanément – oui, mais … au cours d’une hémorragie méningée authentique on peut observer des différences de coloration dans les trois tubes. – oui, mais … on peut manquer de chance et blesser un vaisseau en ponctionnant une véritable hémorragie. Pour éviter autant que possible de tels ennuis : Aiguille de calibre moyen, biseau court, mandrin ; ponctionner doucement, s’arrêter dès que le ligament postérieur est franchi (on le sent), attendre avec patience que le liquide paraisse.
La ponction lombaire bien faite permet de distinguer l’hémorragie de certaines affections qui, cliniquement, lui ressemblent beaucoup :
1°) La méningite purulente du nouveau-né; je n’insiste pas.
2°) L’œdème cérébro-méningé accompagne fréquemment l’hémorragie. Mais il peut exister isolément. Le liquide est clair ou un peu jaune, renferme peu d’hématies, peu de cellules mais trop d’albumine. On trouve des chiffres compris entre 0,60 et 1 gr. Il faut savoir que des chiffres compris entre 0,20 et 0,50 qui seraient pathologiques chez le grand enfant ef l’adulte, sont quasi normaux chez le nouveau-né.
3°) Le collapsus ventriculaire se traduit par l’absence d’écoulement. Pour y croire, on doit en outre constater une fontanelle rétractée et des sutures qui chevauchent. On peut alors injecter lentement 2 ou 3 cm3 de sérum physiologique dans le canal rachidien et hydrater l’enfant par voie sous cutanée.
4°) Les malformations du système nerveux central ou les encéphalopathies embryonnaires ou fœtales ne comportent pas de sang dans le liquide céphalo-rachidien.
F – TRAITEMENT
Si les hématomes extra et sous duraux, assez rares en vérité, sont des affections chirurgicales, l’énorme majorité des hémorragies intra-crâniennes du nouveau-né, sous arachnoïdiennes, cérébro-méningées et ventriculaires ne relèvent que d’un traitement médical.
Et ce traitement, avouons-le d’emblée, n’est guère qu’un palliatif. Il vise, assez modestement, à mettre les enfants dans les meilleures conditions possibles pour traverser la tourmente. En voici les éléments :
1°) MISE EN INCUBATEUR pour faciliter l’ensemble des soins.
2°) SURVEILLANCE CONTINUELLE par un personnel qualifié pour secourir le bébé à la moindre alerte, notamment au cours des apnées et des accès de cyanose et ceci peut survenir plusieurs fois par heure.
3°) MANIPULATIONS réduites au minimum indispensable pour éviter la fatigue inutile. Alimentation nulle ou presque au cours des 48 premières heures ; ensuite gavage au lait de femme coupé ; les quantités seront très faibles au début puis dépendront de la tolérance de l’enfant.
4°) RÉCHAUFFEMENT SANS EXAGÉRATION pour maintenir la température aux environs de 36°-36°5. Je pense que des températures trop basses ou trop élevées sont également nocives.
5°) OXYGÉNOTHÉRAPIE PERMANENTE pour lutter contre !’anoxie.
6°) Dans le même but, désobstruction douce des voies aériennes supérieures (rhino-pharynx et pharynx) chaque fois que l’enfant s’encombre, et même aspiration gastrique pour écarter les fausses routes des régurgitations si des vomissements se produisent.
7°) CALMANTS NEUROLOGIQUES quand l’exigent l’agitation ou les convulsions (gardénal – un à quatre ou cinq cgrs par jour, en plusieurs ‘fois, par la bouche ou en injection).
8°) TONIQUES CARDIO-VASCULAIRES en cas de collapsus (coramine 1/4 de cm3 une ou deux fois par jour. Solucamphre, Cortine).
9°) TRAITEMENT ANTIHÉMORRAGIQUE SYSTÉMATIQUE: Vitamine K 10 mmgr. vitamine P 10 mmgr. La vitamine K peut être répétée à cette dose pendant deux ou trois jours. Il est inutile et peut-être nuisible de faire plus. Des doses élevées de vitamine K, nous avons cru le remarquer, sont peut-être responsables d’ictères graves.
10°) TRAITEMENT ANTIINFECTIEUX SYSTÉMATIQUE : 200.000 unités de Pénicilline en deux ou quatre injections ou Pénicilline-Streptomycine pour prévenir l’infection respiratoire.
11°) PONCTION LOMBAIRE répétée. Beaucoup d’auteurs voient dans la ponction lombaire répétée un moyen thérapeutique intéressant qui diminue l’hypertension intra-crânienne, élimine les déchets de l’hémolyse locale et soulage la souffrance cérébrale. D’autres redoutent sous son influence la reprise de l’hémorragie. Cette crainte me semble bien illusoire, surtout quand est mis en œuvre un traitement coagulant correct. Une soustraction de liquide céphalorachidien, répétée tous les deux ou trois jours, mais modérée et mesurée suivant le degré de l’hypertension, m’a toujours paru favorable.
12°) TRAITEMENT NEUROPLÉGIQUE. Le professeur LACOMME, Mme BOREAU, Georges DAVID et moi-même avons été, sans doute, les premiers à utiliser le Largactil dans le traitement des détresses néo-natales. Nous espérions par cette drogue mettre dans un ralenti plus conforme à leurs possibilités la vie précaire de ces enfants menacés ; nous espérions couper chez eux des réflexes abusifs dont les conséquences fâcheuses se développent en cascades ; nous espérions améliorer leur circulation périphérique en évitant le collapsus vasculaire. Dans ces tentatives nous avons eu des satisfactions et des déboir.es. Des satisfactions lorsque nous étions en présence de nouveau-nés simplement choqués, atteints de troubles uniquement fonctionnels.
Des déboires lorsque la détresse relevait de lésions anatomiques précises. C’est dire que la médication neuroplégique n’a pas eu, nous a-t-il semblé, d’influence très heureuse sur les hémorragies nerveuses du nouveau-né. Nous y avons renoncé, tandis que d’autres y ont encore recours.
Tel que je viens de vous l’exposer le traitement des hémorragies nerveuses néonatales est complexe et singulièrement astreignant. Quels sont ses résultats ? Bien sûr nous connaissons d’heureux succès. Mais trop souvent la complexité des lésions nerveuses pulmonaires et circulatoires survenant trois fois sur quatre chez les prématurés dépassent nos possibilités thérapeutiques.
Plus de la moitié des décès qui surviennent dans cette maternité sont liés à ces deux causes enchevêtrées : hémorragies nerveuses, prématurité. Ajoutez que parmi les enfants qui survivent, certains présentent des séquelles qui en font des faibles d’esprit ou des infirmes. Vous conviendrez que le bilan n’est pas triomphant.
Alors ? C’est très simple : LE TRAITEMENT DOIT ÊTRE PROPHYLACTIQUE.
Il faut éviter la prématurité – vérité première qu’il n’est pas commode de réaliser. Et quand va naître un prématuré, conduire l’accouchement avec des précautions, une douceur, un art infinis. Il existe une technique particulière de l’accouchement prématuré, qui cherche à prévenir tout traumatisme et mécanique et «chimique» . Vous la connaissez.
Conclusion, qui vous charge de noblesse : Le meilleur traitement des hémorragies cérébroméningée des nouveau-nés c’est d’avoir d’excellentes sage-femmes qui sachent les éviter.
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