
Les lésions cérébro-méningées, cause la plus fréquente de mortalité néonatale, sont dues au “traumatisme de la naissance”. D’autres fois, il faut chercher l’origine des lésions dans les troubles circulatoires provoqués par la compression du fœtus. Il s’ensuit une hyperpression intracrânienne qui favorise la stase veineuse et l’anoxie. Lorsque l’enfant survit les manifestations pathologiques peuvent régresser complètement ou laisser des séquelles psychomotrices définitives.
Etiologie
1. L’étiologie la plus fréquente est le traumatisme.
a) L’accouchement a été laborieux, dystocique et s’est terminé artificiellement :
– soit par une application de forceps difficile (sur la tête trop élevée avec prise asymétrique, sur la tête dont les dimensions sont trop grandes par rapport à celles du bassin),
– soit par une extraction du siège ou de simples manœuvres sur la tête dernière,
– soit par un usage inconsidéré d’ocytociques.
b) Mais l’accouchement peut s’être terminé spontanément. Le traumatisme relève alors d’une travail trop prolongé, ou au contraire trop rapide ; d’une expulsion longue, exposant la tête fœtale aux heurts trop violents ou trop répétés contre le périnée.
2. L’anoxie est la deuxième grande cause des lésions cérébrales.
Le tissu nerveux est le plus sensible à ses effets. Mais très souvent, l’anoxie est la conséquence d’un traumatisme moins évident, par exemple celui qui est dû aux contractions du travail et surtout à la période d’expulsion. De plus certains troubles de l’hémodynamique semblent avoir un rôle nocif. Pendant la contraction la fermeture des veines utéro-placentaires avec conservation du débit artériel, augmente la pression dans les chambres intervilleuses. Cet excès de pression se transmet à la circulation fœtale et particulièrement au réseau veineux intracrânien.
Anoxie et traumatisme sont donc intimement liés, suivant des proportions variables.
Un autre exemple en est donné par la dystocie des épaules, où, lorsque la tête est hors de la vulve, l’hyperpression intracranienne se combine à l’anoxie.
3. Les causes favorisantes sont :
Avant tout la prématurité, dont l’un des caractères est la fragilité capillaire ; l’hypoprothrombinémie physiologique ; l’excès de volume du fœtus ; la post-maturité ; l’infection amniotique ; la primiparité.
Anatomie pathologique
On observe trois sortes de lésions : les hémorragies méningées, les lésions ventriculaires et les lésions parenchymateuses.
Les hémorragies méningées, d’origine veineuses, sont les plus fréquentes
a) Elles se localisent surtout à la leptoméninge (arachnoïde et pie-mère) et sont généralement sous-arachnoïdiennes. Les hémorragies extra-durales et sous-durales, apanage du nourrisson, ne se rencontrent que rarement chez le nouveau-né, associées à un enfoncement ou à une fracture du crâne.
b) Elles peuvent être diffuses, mais le plus souvent le sang, liquide ou coagulé, s’accumule dans mes zones électives suivantes :
– Les étages supérieurs et moyens du crâne. Ces hémorragies supra-tentorielles siègent soit près du lobe pariétal, dans la région sylvienne ; soit dans la fosse occipitale ; soit à la base du cerveau ; plus rarement à la face interne des hémisphères.
– La fosse cérébelleuse. Ces hémorragies sous-tentorielles sont les plus graves, à cause de leur propension à comprimer le bulbe et le cervelet, et des troubles neurovégétatifs qu’elles provoquent.
– Mais les deux étages peuvent communiquer entres eux.
c) L’origine de l’hémorragie est souvent difficile à retrouver, provenant des vaisseaux qui cheminent dans la pie-mère ou dans l’espace sous-arachnoïdien : veine de Gallien ou ses collatérales ; petites veines se rendant aux sinus longitudinaux ; veines de la tente du cervelet.
La déchirure des sinus, qui exige un traumatisme considérable, est exceptionnelle et incompatible avec la vie.
Contrastant avec ces gros foyers hémorragiques de la méninge molle, le cortex est généralement blanc, indemne d’altérations vasculaires.
L’hémorragie méningée s’accompagne toujours d’une congestion vasculaire diffuse, d’un œdème important du cerveau et du cervelet, qui donnent à ces organes un aspect tigré. Mais l’œdème cérébro-méningé chez le nouveau-né est banal. Au moindre degré, il est même constant.
Les lésions ventriculaires, plus rares, sont l’apanage du prématuré :
a) L’hémorragie est caractérisée par l’abondance de l’épanchement qui envahit la totalité des ventricules. Le sang est généralement coagulé. Cette inondation provient des parois ventriculaires dissociées par des foyers apoplectiques. Les plexus choroïdes sont peu altérés. Le cortex est indemne.
b) Les lésions du plexus choroïde peuvent être isolées. Alors l’œdème, la congestion, les hémorragies, sont les lésions observées.
Les lésions parenchymateuses, rares aussi, sont représentées par de petits foyers prenant l’aspect d’un piqueté hémorragique. Elles siègent avec prédilection dans le territoire tributaire de la grande veine de Gallien (paroi externe des ventricules). Au microscope, on voit une vaso-dilatation allant parfois jusqu’à l’ectasie veineuse, de l’œdème de la gaine périvasculaire et de petites hémorragies punctiformes.
Aux lésions cérébro-méningées s’associent souvent des lésions viscérales où dominent la congestion, l’hémorragie, la suffusion séro-albumineuse des séreuses. Les viscères les plus frappés sont le poumon, le fois, le rein, le cœur, les surrénales. Les lésions pulmonaires, décrites sous le nom de poumon cérébral, se caractérisent par une angélo-alvéolite en dehors de toute obstruction bronchique.
Ces lésions viscérales expliquent certains symptômes observés chez le nouveau-né traumatisé.
Apres la naissance, les lésions cérébro-méningées qui guérissent ou bien se résorbent sans laisser de traces, ou bien donnent des séquelles plus ou moins graves.
Certaines hémorragies méningées créent des brides ou des cloisons qui gênent la circulation du liquide céphalo-rachidien, parfois même l’empêchent complètement, origine d’une hydrocéphalie secondaire. Les lésions cérébrales peuvent créer des zones d’atrophie scléreuse intéressant le parenchyme.
Pathogénie
Le mécanisme est évident lorsqu’un traumatisme crânien avec fissure ou enfoncement crée les lésions locales, éventualité exceptionnelle aujourd’hui.
Les déformations de la boite crânienne pendant l’accouchement sont, au contraire, fréquentes, conséquence des phénomènes plastiques du travail.
Elles sont presque toujours modérées. Dans leur degré extrême, elles provoquaient autrefois les déchirures de la dure-mère et la rupture des veines qui s’y rendent ; l’autopsie montrait parfois des lésions de la tente du cervelet, rarement de la faux du cerveau.
Avec l’obstétrique moderne, ces déchirures de la méninge dure, dues à des traumatismes importants, sont devenues rares. Les veines qui se rendent à la tente du cervelet ou au sinus longitudinal peuvent être blessées sans lésions de la dure-mère.
Le simple heurt du crâne contre le périnée, surtout chez la primipare, dans la période d’expulsion, peut être un traumatisme suffisant à créer des lésions d’œdème cérébral par déséquilibre vaso-moteur, analogues à celles que l’on observe en neurochirurgie.
D’autres fois, il faut chercher l’origine de ces lésions dans les troubles circulatoires provoqués par la compression du fœtus. Il s’ensuit une hyperpression intracrânienne qui favorise la stase veineuse et l’anoxie. Alors se produisent l’œdème, la diapédèse des éléments figurés du sang, la rupture des capillaires et des hémorragies multiples à petits foyers.
L’extraction de siège peut provoquer cette compression fœtale ; mais aussi la contraction utérine, surtout lorsqu’elle va de pair avec l’anoxie ou la fragilité vasculaire.
Clinique
1. Accidents immédiats.
a) Le fœtus peut succomber in utéro.
b) Plus souvent l’enfant naît en état de mort apparente (voir chapitre précédent).
c) Après la réanimation, le pronostic est encore réservé. Un coma peut faire suite à la mort apparente, ou même survenir secondairement chez un nouveau-né qui a crié dès la naissance.
Qui qu’il en soit, le nouveau-né est dans un état de choc. Le mélange de pâleur et de cyanose lui confère un teint gris. L’enfant, inerte, émet de faibles gémissements. La respiration est saccadée, rapide, bruyante. Le pouls est rapide, irrégulier, la température basse. L’hypotonie musculaire est habituelle. La fontanelle est flasque. Le reflexe de succion est aboli, quoique la déglutition puisse être conservée. Les réflexes primaires seront recherchés en manipulant l’enfant le moins possible.
L’évolution fatale est fréquente, dans un tableau de cyanose et de troubles respiratoires. Parfois, au contraire, l’état général s’améliore, mais des accidents secondaires peuvent survenir dans les jours suivants.
2. Accidents retardés.
Ils n’apparaissent qu’après un intervalle libre de un à cinq jours. Variables dans leur intensité, leur nombre, leur groupement, ils réalisent un ensemble plus ou moins complet.
Troubles respiratoires. La respiration est irrégulière, accélérée ou ralentie, faible amplitude, entrecoupée de périodes d’apnées.
La cyanose souvent associée est continue ou paroxystique, localisée aux extrémités et aux lèvres, ou généralisée.
Troubles moteurs. Somnolent et geignant, le regard fixe ou les yeux clos, le nouveau-né à un comportement moteur variable. Quelquefois il est agité.
A l’hypertonie physiologique fait place la contracture généralisée et plus souvent l’hypotonie. Si les paralysies d’origine centrale sont exceptionnelles, des crises convulsives expriment souvent la souffrance cérébrale : elles peuvent êtres isolées, toniques ou cloniques, généralisées ou localisées, prédominant d’un coté ; les accès peuvent devenir subintrants, cet état de mal étant d’un mauvais pronostic. A chaque crise correspond un accès de cyanose avec révulsion des globes oculaires. Entre les crises, le nouveau-né retrouve sa couleur normale.
Les crises frustres sont les plus fréquentes, réduites à des contractions toniques des extrémités ou a des mouvements anormaux des mains, de la face, des yeux, de brèves durée et d’interprétation parfois difficile. (Le nouveau-né et surtout le prématuré ont normalement des mouvements brusques et désordonnés qui ne sont pas des mouvements convulsifs)
Fréquents sont aussi les troubles de la succion et de la déglutition ; l’enfant tète mal ; le bol alimentaire risque de passer dans la trachée.
Troubles thermiques. Qu’il y ait de la fièvre en clocher, ou, moins souvent, de l’abaissement de température, la courbe thermique est irrégulière, instable, et contraste avec la courbe monotherme du nouveau-né normal.
La courbe pondérale est anormale : la chute de poids est excessive, la reprise lente et irrégulière.
Fontanelle et reflexes. La tension de la fontanelle est un signe fréquent mais non constant. Les reflexes propres au nouveau-né peuvent faire défaut.
L’examen du fond d’œil peut montrer des hémorragies rétiniennes importantes.
L’évolution est variable :
La mort peut survenir dans le coma ou par syncope respiratoire brutale.
Des complications sont possibles, surtout infectieuses. L’atteinte broncho-pulmonaire est la plus fréquente, souvent responsable de la mort de ces enfants.
Les troubles peuvent enfin disparaitre complètement sans aucune séquelle, ou au prix de troubles neuropsychiques résiduels, d’apparition parfois tardive.
Diagnostic
A la naissance, l’état de mort apparente n’est pas toujours lié à des lésions cérébro-méningées. On devra distinguer les autres étiologies : obstruction des voies respiratoires, apnée post-anesthésique, malformation viscérale.
En pratique, le diagnostic d’hémorragie cérébro-méningée est avant tout un diagnostic positif.
La ponction lombaire est le moyen théorique le plus probant. Elle peut, en effet, ramener un liquide caractéristique, rouge ou rosé, sous pression. Mais elle peut aussi rester blanche ou ne ramener qu’un liquide clair qui ne permet pas d’écarter l’hémorragie méningée ; le sang a pu être enkysté par un cloisonnement des méninges ou n’avoir pas diffusé dans l’espace sous-arachnoïdien. De plus, les caractères cyto-chimiques du liquide céphalo-rachidien sont d’interprétation difficile chez le nouveau-né (p889).
Enfin, la ponction lombaire n’est pas sans inconvénients ; elle peut être la cause de la reprise d’une hémorragie méningée en voie de stabilisation. Aussi faut-il s’abstenir de ce moyen dans les premiers jours. Plus tard, la ponction pourra confirmer rétrospectivement le diagnostic clinique.
Pronostic
Le pronostic immédiat est difficile à porter. Il est fondé sur l’intensité des signes cliniques et plus particulièrement des convulsions, les modifications du tonus et les troubles thermiques. Mais des surprises sont possibles. Certains nouveau-nés succombent brusquement d’une syncope alors que l’on escomptait une évolution favorable ; d’autres survivent après une phase initiale alarmante.
Le pronostic éloigné est imprévisible ; on ne s’accorde même pas sur la part à attribuer aux lésions cérébro-méningées néonatales dans les divers syndromes neurologiques, mentaux et psychomoteurs de l’enfance.
L’examen neurologique de l’enfant s’impose dès qu’il a passé le cap des accidents aigus, dans le but de préciser la topographie des lésions, leur importance et leur pronostic.
L’électro-encéphalographie tient dans cet examen une place de choix. On la répète pendant plusieurs mois pour juger de l’évolution. Elle permet de dépister des foyers circonscrits, des tracés de dysrythmie ou infravoltés. L’encéphalographie gazeuse peut aussi apporter des renseignements.
Les séquelles, conséquence de la survie et des lésions antérieures, surviendraient dans 15 p.100 des cas. Il peut s’agir :
a) De troubles moteurs. Hémiplégie cérébrale infantile ; paralysies spastiques bilatérales surtout asymétriques ; dystonies à type d’hypotonie ou d’hypertonie (athétose) ; épilepsie localisée ou généralisée souvent liée à des lésions diffuses mais parfois causée par une cicatrice cérébrale ; dans un certain nombre de cas, simple retard moteur ;
b) De troubles psychiques. Les déficits intellectuels sont souvent associés aux troubles moteurs. Les autres syndromes vont de la simple débilité à l’idiotie. Enfin les troubles du comportement et du caractère sont fréquents.
c) L’hydrocéphalie secondaire associe la dilatation des ventricules à une augmentation de volume du crâne, qu’il s’agisse d’hypersécrétion ou de troubles de l’écoulement du liquide céphalo-rachidien.
Traitement
Prophylaxie. C’est toute la connaissance de l’obstétrique. Rappelons qu’on doit surveiller l’évolution de la grossesse, éviter autant que possible les accouchements prématurés, craindre le traumatisme du fœtus. Le travail prolongé, les manœuvres opératoires difficiles, l’épreuve du travail trop longue doivent être abandonnés au bénéfice d’interventions plus favorables au fœtus. Tout acte obstétrical doit être pratiqué avec prudence, lenteur et douceur des gestes.
La souffrance fœtale doit être recherchée par les moyens cliniques classiques et par les moyens plus récents de l’examen du liquide amniotique, de l’enregistrement du rythme cardiaque, de la mesure du pH sanguin fœtal.
L’anoxie est combattue par l’oxygénothérapie dès que se manifestent des signes de souffrance fœtale, ou dès la naissance si l’état du nouveau-né n’est pas normal.
Le traitement curatif est essentiellement symptomatique au stade néonatal. Le nouveau-né porteur de lésions cérébro-méningées doit être considéré comme un choqué et comme un traumatisé du crâne.
Le traitement de la mort apparente a été étudié précédemment.
Le traitement des accidents retardés reconnait les mêmes principes que celui du choc traumatique.
L’enfant est mis au repos absolu, mobilisé au minimum, et progressivement réchauffé. L’oxygénothérapie est nécessaire lorsqu’il existe des troubles respiratoires et de la cyanose. Les perfusions veineuses de sérum glucosé ou bicarbonaté corrigeront les éventuels troubles métaboliques.
L’action des calmants est souvent utile. Le gardénal est prescrit per os à la dose de 2 cg par kilo et par 24h ; par voie sous-cutanée, le gardénal sodique est prescrit à la dose de 2 cg une ou deux fois par 24h. La posologie du sirop de chloral est d’une demi-cuiller à café toutes les quatre heures chez le nouveau-né de poids normal : toutes les six heures chez le prématuré. La chlorpromazine (largactil) est le meilleur anticonvulsivant ; on le prescrit à la dose de 2 mg par kilo et par 24h, soit par voie sous-cutanée, soit per os.
Dans certains cas exceptionnels et désespérés, nous avons utilisé les neuroplégiques associés au refroidissement pour lutter contre les désordres artério-capillaires de la période de choc et pour réduire les besoins en oxygène de l’organisme. Si ce traitement permet la survie, celle-ci ne sera pas toujours sans graves séquelles psychomotrices, conséquence des lésions cérébro-méningées.
Indications particulières du traitement. L’œdème cérébral est justiciable de petits lavements de 20 cm3 de sérum glucosé hypertonique. On peut recourir aux substances destinées à combattre la fragilité vasculaire (rutine, vitamine E) ou l’hypocoagulabilité sanguine (vitamine K1) en sachant que leur action est limitée lorsque les lésions sont constituées.
Contre l’infection, on utilise préventivement les antibiotiques.
En revanche, on connait déjà les dangers de la ponction lombaire, du moins dans les premiers jours de vie.
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