L’accouchement est, pour le fœtus, une période critique au cour de laquelle il peut souffrir et succomber au traumatisme obstétrical. On entend sous ce vocable, les différentes agressions dont il est l’objet. Même en cas d’accouchement eutocique, il peut être traumatisé du fait des contractions utérines qui, d’une part, exercent sur lui leur pression et l’obligent à progresser, à frottement plus ou moins dur, au contact des parois de la filière pelvi-périnéale et qui, d’autre part, perturbent son hématose en gênant la circulation placentaire.

Les effets du traumatisme obstétrical sont très variables, non seulement en raison de l’importance variable de ce traumatisme, qui trouve son expression majeure dans les accouchements dystociques, mais aussi -et peut-être surtout – du terrain sur lequel il s’exerce, c’est-à-dire de la résistance du fœtus : ceci explique les effets particulièrement fâcheux du traumatisme sur le prématuré aux vaisseaux plus fragiles et dont l’organisme est plus sensible à l’anoxie. L’accoucheur doit être particulièrement attentif au comportement de l’enfant tout au long du travail de manière à dépister les signes de souffrance et à leur apporter la solution nécessaire.

1. SOUFFRANCE ET MORT DU FŒTUS AU COURS DU TRAVAIL

La mort du fœtus “in utero”, au cours de la gestation, constitue un chapitre de la pathologie de la grossesse étudié dans le tome I. La souffrance et la mort du fœtus au cours du travail peuvent être la conséquence d’une affection pathologique maternelle préexistant à l’accouchement : tels sont les cas observés à l’issue des dysgravidies ou des grossesses prolongées. L’enfant fragilisé et déjà hypoxique n’est pas capable de supporter le traumatisme du travail et les à-coups de la circulation fœto-placentaire qui y sont liés.

Elles peuvent être aussi la conséquence de circonstances pathologiques tenant à l’accouchement lui-même et nous avons eu l’occasion de les étudier avec les différentes causes de dystocie. Trois processus peuvent exercer leur action néfaste sur l’enfant au cours du travail : l’anoxie, le traumatisme, l’infection.

1. L’ANOXIE, qu’elle soit due à un travail prolongé, à des contractions utérines excessives et inefficaces, à un décollement placentaire, à une procidence du cordon ou .à d’autres anomalies funiculaires, semble la cause la plus .fréquente de la souffrance fœtale.

Elle entraîne des mouvements respiratoires prématurés; le fœtus aspire le liquide amniotique et les mucosités des voies génitales maternelles. Cela peut aboutir à la “submersion intra-utérine” ou aux états asphyxiques que nous avons étudiés avec la mort apparente.

L’anoxie est également capable de créer au niveau des centres nerveux et de certains viscères, des lésions congestives et hémorragiques susceptibles d’entraîner la mort ou des séquelles définitives.

2. LE TRAUMATISME est en relation avec les difficultés d’expulsion ou d’extraction de l’enfant. Il peut tenir aux contractions violentes de l’utérus éventuellement exacerbées par l’emploi intempestif des ocytociques qui contraignent la tête fœtale à une confrontation trop prolongée et trop violente avec un bassin rétréci ou simplement des tissus résistants.

Il est surtout la conséquence des manœuvres obstétricales destinées à extraire artificiellement l’enfant. De plus en plus rare, depuis qu’on renonce aux manœuvres de force, il reste la rançon d’un certain nombre de grandes extractions du siège et de forceps trop hauts ou trop énergiques.

Il s’agit alors d’une véritable contusion cérébrale s’accompagnant parfois de fracture ou d’enfoncement de la voûte, de déchirure de la tente du cervelet, voire de la faux du cerveau ou d’un sinus…

C’est dans ces cas que l’on trouve de vastes foyers hémorragiques cérébro-méningés dont le siège de prédilection se situe dans la fosse cérébelleuse, sous la tente du cervelet.

De telles lésions expliquent facilement la mort au cours du travail ou les difficultés extrêmes de réanimation qui caractérisent “l’asphyxie blanche” du nouveau-né.

3. L’INFECTION peut surajouter ses effets à ceux de l’anoxie au cours du travail prolongé avec rupture ancienne des membranes. Le fœtus est contaminé par l’infection amniotique. Il en résulte une souffrance accrue et des risques infectieux secondaires après la naissance (infection pulmonaire, infection cutanée).

SYMPTOMES DE LA SOUFFRANCE FŒTALE AU COURS DU TRAVAIL

Ils sont réduits à deux signes :

  • les altérations du liquide amniotique ;
  • les modifications des bruits du cœur fœtal.

a) Altérations du liquide amniotique.

Elles sont dues à la présence de méconium dans le liquide amniotique. La souffrance et l’anoxie semblent responsables d’une paralysie du sphincter anal qui laisse échapper dans la cavité amniotique le méconium contenu dans l’intestin de l’enfant. Le liquide est teinté en vert. Suivant l’abondance du méconium, il reste plus ou moins fluide ou devient épais “purée de pois”. Le crédit à accorder au caractère méconial du liquide amniotique en tant que signe de souffrance fœtal, n’est pas absolu. Il n’a aucune valeur dans la présentation du siège où l’expulsion de méconium est normale. Dans les autres présentations, il est un signe qui doit donner l’éveil et faire surveiller attentivement les bruits du cœur mais, surtout quand il est discret, il peut révéler une souffrance qui n’a été que passagère.

b) Modifications des bruits du cœur fœtal.

L’auscultation doit être pratiquée entre deux contractions utérines assez longtemps (une minute) après la fin de la précédente et avant le début de la suivante. En cas de souffrance fœtale, la première modification est l’accélération du rythme cardiaque.

Dans un second temps, les bruits du cœur se ralentissent ou deviennent irréguliers et sourds.

L’irrégularité et le ralentissement des bruits du cœur constatés à plusieurs reprises constituent un signe de grande valeur et doivent faire redouter un danger pressant pour l’enfant.

Leur constatation n’est pas toujours facile en raison des difficulté mêmes que l’on a parfois à ausculter le cœur fœtal dans certaines circonstances (obésité, tachycardie maternelle … ) et c’est là que l’enregistrement de l’activité électrique du cœur fœtal est sans doute appelée à rendre de grands services.

CONDUITE A TENIR EN CAS DE SOUFFRANCE FŒTALE

Elle diffère essentiellement, suivant que l’on se trouve à la période de dilatation ou à la période d’expulsion.

a) A la période de dilatation, la constatation de signes de souffrance fœtale doit comporter immédiatement l’institution d’une thérapeutique palliative : l’oxygénation maternelle, au débit de 6 litres/minute environ; à elle seule, cette thérapeutique entraîne souvent une amélioration rapide du rythme cardiaque fœtal. On doit, en même temps, faire le bilan des causes possibles de souffrance et en tout premier lieu rechercher une procidence. Dans certaines circonstances, la constatation d’une souffrance fœtale est particulièrement embarrassante : ainsi, en cas d’épreuve du travail. Si la souffrance paraît légère, ce sera une raison de hâter le geste chirurgical, si elle apparaît grave, le risque d’extraire un enfant mort fera plutôt renoncer à la voie haute.

En l’absence de causes décelables, il faut s’efforcer d’abréger l’accouchement par l’emploi judicieux des antispasmodiques (s’il existe un syndrome d’hypertonie utérine) et surtout des ocytociques qui permettront d’accélérer la dilatation. Bien que cette conduite soit passible de critiques, elle nous a rendu, comme à beaucoup d’autres, de grands services sous la forme de perfusion d’ocytocine de synthèse ; sauf contre-indications particulières, elle ne nous semble pas dangereuse.

b) A la période d’expulsion, lorsque la dilatation est complète, la souffrance fœtale constitue une indication formelle d’extraire l’enfant dans les plus brefs délais, généralement par un forceps, exceptionnellement par une grande extraction du siège ou une version podalique. A ce moment, qui est aussi celui où la souffrance est la plus fréquente, et où l’intervention salutaire peut être immédiate, on comprend l’importance de l’auscultation des bruits du cœur fœtal qui doit être un geste de routine systématiquement renouvelé. Ajoutons que la souffrance fœtale authentique, si elle n’est pas exceptionnelle, n’est peut-être pas aussi fréquente que pourrait le laisser supposer un assez grand nombre de forceps pratiqués en son nom. Elle ne doit pas être invoquée à la légère, à la suite d’une auscultation hâtive, pour justifier une extraction artificielle dont le risque n’est pas toujours négligeable.

II. LE NOUVEAU-NÉ TRAUMATISÉ

Nous avons envisagé les aspects de la mort apparente du nouveau-né. De même, nous avons étudié, à l’occasion des dystocies qui en sont la cause, différentes lésions traumatiques du nouveau-né;

  • Fracture de l’humérus à l’occasion des extractions du siège ;
  • Fracture de la clavicule, paralysie du plexus brachial et du phrénique à l’occasion de la dystocie des épaules ;
  • Enfoncements et embarrures du crâne dans les rétrécissement pelviens ;
  • Paralysie faciale à l’occasion des applications de forceps.

L’étiologie traumatique du céphalhématome, que l’on rencontre si fréquemment dans les suites de naissance est discutée. Il en est de même pour l’hématome du sternocléidomastoïdien, affection beaucoup plus exceptionnelle qui se traduit par une induration ovalaire, de la taille d’une olive, allongée sur le bord antérieur du muscle, à sa partie moyenne ou inférieure. Observé surtout chez les enfants né par le siège, il serait plutôt dû à un vice de position intra-utérine et s’accompagne d’un torticolis que l’on peut parfois corriger en couchant simplement l’enfant sur le côté opposé.

CONDUITE A TENIR

La conduite à tenir en présence du nouveau-né traumatisé comporte des soins immédiats généraux et locaux (immobilisation des fractures, simple expectative dans la paralysie faciale, expectative en attendant le traitement physiothérapique ou, mise en attitude d’abduction du bras dans les paralysies du plexus brachial, etc.).

Elle comporte aussi une surveillance ultérieure qui devra s’exercer attentivement tout au long de la première semaine pour dépister les signes des lésions cérébro-méningées, qui peuvent ne se manifester qu’après un intervalle de 1 à 4 et même de 5 jours par :

  • des crises de cyanose intermittentes, survenant spontanément ou à l’occasion des tétées ;
  • des troubles de la déglutition, l’enfant tête difficilement, refuse le sein ;
  • des troubles moteurs avec des crises convulsives, le plus souvent frustes et localisées sous forme de petites secousses, au niveau de la face, des yeux ou des extrémités ;
  • des troubles respiratoires avec un rythme irrégulier et des périodes d’apnée ;
  • des troubles de la régulation thermique qui peuvent prendre la forme d’une hyperthermie ou d’une hypothermie, au-dessous de 36°, voire de 35°, donnant un profil très irrégulier à la courbe de température.

L’examen montrera souvent une raideur et une tension des fontanelles attestant la réaction méningée, l’absence de réflexes, et permettra parfois de déceler des signes pulmonaires correspondant aux lésions du “poumon cérébral”.

La ponction lombaire, qui doit être pratiquée avec prudence, et dont le bien-fondé est discuté, lève généralement les doutes en révélant un liquide rouge ou rosé qui ne se coagule pas. Elle peut ne pas être probante : la xantochromie du liquide céphalo-rachidien peut se voir en dehors des hémorragies méningées (chez des enfants ictériques ou non). La ponction des veines rachidiennes ramène parfois du sang pur et coagulable qu’il ne faut pas confondre avec le liquide sanglant. Celui-ci, de son côté, peut être le fait d’une méningite (à colibacille en particulier) prouvée par l’examen bactériologique et pour certains, favorisée par le traumatisme de naissance.

L’évolution peut se faire vers la mort au cours d’une syncope brutale ou à la suite d’une crise prolongée de cyanose et d’apnée.

La guérison est fréquente, elle a beaucoup de chances de se faire avec ou sans séquelles lorsque l’enfant a franchi le cap de la première semaine.

Le traitement peut être schématisé ainsi :

  • surveillance étroite, isolement strict, oxygénothérapie ;
  • alimentation prudente (l’enfant doit “boire” et non “téter”, on ne le met pas au sein mais on tire le lait maternel pour le lui donner) ;
  • sédatifs, type Gardénal, à la demande, voire chlorpromazine (1 à 2 mg par kilogramme de poids et par 24 heures) ;
  • Vitamine Kr, rutine et antibiotiques, pour éviter l’extension des hémorragies et exercer la prophylaxie de l’infection.

Plus tard, on s’efforce de faire le bilan des séquelles.

L’électro-encéphalogramme, répété, permet dans une certaine mesure, lorsqu’il montre l’absence ou la disparition des tracés pathologiques (foyers, dysrythmie), de préjuger d’une “restitutio ad integrum” dans les cas favorables.

Dans les cas défavorables (moins de 1 sur 5) on constatera, l’âge les mettant progressivement en évidence, les classiques troubles moteurs (paralysies, hypotonie, épilepsie), intellectuels (déficit souvent profond) et caractériels qui sont parfois les navrantes séquelles du traumatisme obstétrical. Elles sont loin d’être toujours en rapport avec l’intensité de ce traumatisme ni même avec l’importance des signes cliniques par lesquels elles se sont annoncées au cours de la période néonatale ; le terrain semblant, rappelons-le, jouer un rôle capital dans leur genèse.

CONCLUSIONS

La part du traumatisme obstétrical dans la morti-natalité et dans la mortalité primaire, celle des premiers jours de la vie, n’a cessé de décroître au cours des trente dernières années.

En ce qui concerne plus particulièrement les applications de forceps, la mortalité au cours du travail et dans les suites de naissance, a diminué de 90 % entre les années 1925 et 1955 dans certaines statistiques.

Cela correspond à l’abandon, au profit de la césarienne, non seulement des applications hautes, mais encore de toutes celles s’avérant trop difficiles en cours même d’exécution.

La prophylaxie du traumatisme obstétrical ne doit pas consister seulement à proscrire les manœuvres de force – dans ce domaine, les gains possibles apparaissent désormais assez limitésmais aussi à prévenir les troubles de la contraction utérine, à diminuer les effets anoxémiants du travail, à renforcer, enfin, dans toute la mesure du possible, au cours de la gestation, la résistance du produit de conception.

C’est toute la prophylaxie des affections maternelles susceptibles de compromettre cette résistance et, en un mot, toute la “puériculture anté-natale” qui entre ainsi en jeu.

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