
A Nanterre, un médecin et une sage-femme comparaissaient pour homicide involontaire après le décès d’un nouveau-né.
Sous prétexte de ne pas “surmédicaliser” un accouchement, un médecin-accoucheur ou une sage-femme peuvent-ils faire abstraction des techniques modernes de surveillance fœtale (monitorage) ? Telle est en substance la question qui a été posée, lundi 6 février, à la dix-septième chambre correctionnelle du tribunal de Nanterre, présidée par Denise N’Diaye.
Le 4 mars 1990, au terme d’une grossesse normale, Claudia Chalumeau et son mari Eric se rendent vers minuit à la maternité de l’hôpital privé Nord 92, que gère la commune de Villeneuve-la-Garenne. Connu pour son opposition à “l’hypermédicalisation” des accouchements et sa préférence pour les accouchements à domicile, le docteur Bizieau, gynécologue-obstétricien et chef de service, a convaincu les époux Chalumeau, pour la venue de ce premier enfant, du bien-fondé de ses théories sur les mises au monde “naturelles”.
Dans le cadre de l’une de ses consultations privées, il les a confiés à une sage-femme libérale, Pom Suos, ayant autorisation d’exercer dans les locaux de l’hôpital privé.
Accompagnée par Mme Suos et installée, à sa grande surprise, dans un bloc opératoire traditionnel dans lequel le matériel de deux salles d’accouchement a été entreposé (l’établissement était en travaux), Mm Chalumeau est invitée à prendre place sur un matelas posé à même le sol.
Aucun enregistrement continu du rythme cardiaque fœtal, tel qu’il est assuré classiquement en obstétrique, n’est mis en place. Seuls deux monitorages ponctuels seront effectués dans la nuit, dont un à 2 h 15, qui révélera déjà une variation du rythme cardiaque. Pour brancher l’enregistreur, remarque la future mère, il faut… débrancher le radiateur de la pièce.
DÉFAUSSES SUCCESSIVES
Vers 3 h 15, alors que le bébé tarde à venir, la sage-femme décide d’appeler le docteur Bizieau, qui arrive à 3 h 45. Une petite fille, Catherine, naît à 4 heures. Le cordon ombilical doublement enroulé autour de son cou, elle est en état de mort apparente. Réanimé et transféré en urgence au service de néonatalogie de l’hôpital d’Argenteuil, l’enfant décèdera dix jours plus tard des suites de lésions neurologiques irréversibles causées par un manque d’oxygénation du cerveau. Erreur médicale ou fatalité ? Le médecin et la sage-femme ont tout d’abord tenté d’établir que la mort pouvait être étrangère à l’accouchement ce que l’autopsie ne confirme pas. Mais M Jean-Alain Michel, avocat de Claudia et Eric Chalumeau, a d’emblée stigmatisé ce qu’il nomme mes “théories extravagantes” du docteur Buzieau.
Souhaitant faire “le procès d’une école“, celle des accouchements naturels, il a cité une revue spécialisée à laquelle le docteur Bizieau confiait : “dans mon service sont disponibles un accoucheur, un pédiatre, une sage-femme, un anesthésiste, une puéricultrice et une infirmière, tous de garde. On a pas le droit d’intervenir à ce point sur la venue d’un individu sur cette terre, sauf en cas d’urgence.”
Or, s’ils n’en déterminent pas explicitement les causes, les rapports des experts désignés par le juge d’instruction sont accablants pour la sage-femme, “influencée par les thèses obstétricales du docteur Bizieau.”
Les professeurs René Frydman, de l’hopital Beclère à Clamart, et David Lewin, de l’hopital de Poissy, ont relevé que “les moyens que la science actuelle impose en vue du dépistage de la souffrance fœtale n’ont pas été utilisés.” Et les professeurs Marcel Voyer et Fernand Daffos, de l’Institut de Puériculture de Paris, ont estimé “qu’en l’absence d’enregistrement continu du rythme cardiaque fœtal, on ne s’est pas donné toutes les chances de reconnaitre les signes évocateurs de l’apparition de la souffrance fœtale.” Ce qui aurait permis notamment, a fait observer M Michel, de pratiquer une césarienne dès l’apparition de la souffrance.
Dans un jeu de défausses successives, le conseil de la direction de l’hôpital privé, qui a estimé que son établissement respectait la législation en vigueur concernant l’accès de sages-femmes libérales au plateau technique de l’hôpital, a rejeté la responsabilité sur le médecin, qui agissait dans le cadre de ses consultations privées, et sur la sage-femme. Plaidant pour le compte de Mme Suos, M Olivier Leclère a, pour sa part, reporté la responsabilité sur le médecin accoucheur.
Enfin, s’appuyant sur 400 témoignages de patientes enthousiastes (une vingtaine assistaient à l’audience), M Helène Fabre, conseil du docteur Bizieau, s’est employée à démontrer l’efficacité du service de son client et a rejeté la responsabilité sur les épaules de la sage-femme. Faisant fi de l’ignorance qui peut être celle d’une femme primipare ayant toute confiance en son médecin, elle n’a pas hésité à avancer que “les parents devraient assumer une certaine part de responsabilité.”
PEINE DE PRINCIPE
“Nous sommes là pour obtenir une peine de principe” a indiqué M Michel, au nom des parents. Soit certainement plus que l’amende “dissuasive” requise par le ministère public, qui a estimé pourtant que le médecin et la sage-femme partageaient à part égale la responsabilité du drame. Si le tribunal reconnait que l’un ou l’autre des prévenus, ou les deux, ont commis involontairement un homicide ou en ont été la cause “par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements“, le médecin accoucheur et sa sage-femme peuvent encourir une peine de trois mois à deux ans de prison.
Jugement le 20 mars.
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