
Dans son rapport rendu en 2017, la Cour des Comptes a fustigé l’ONIAM de « dysfonctionnements » ayant des « conséquences lourdes pour les victimes ». La Cour égratigne sérieusement la mise en œuvre du dispositif d’indemnisation des accidents médicaux.
Par Maître Noëlle TERTRAIN, avocate associée du cabinet AVICENNE AVOCATS.
Le rapport, dont cet article est une synthèse, rappelle la naissance du mécanisme né de la loi du 4 mars 2002 : l’absence de prise en compte de l’aléa thérapeutique par les tribunaux.
Si la loi de 2002 réaffirme la nécessité d’une faute pour engager la responsabilité d’un professionnel de santé, elle a prévu un dispositif visant à réparer gratuitement et rapidement les victimes d’accidents médicaux non fautifs (aléas thérapeutiques) présentant une certaine gravité, en l’espèce 25 % d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et un dommage anormal au regard de l’état initial du patient et son évolution prévisible.
1. La procédure d’indemnisation.
La procédure a été voulue simple pour être accessible à tous.
Après avoir déposé sa demande à une CCI (Commission de Conciliation et d’Indemnisation), la victime est examinée par un expert ou un collège d’experts, inscrit(s) sur une liste nationale et dont les honoraires sont pris en charge par l’ONIAM.
Les experts doivent être issus de la liste de la Commission Nationale des Accidents Médicaux (CNAMed) qui doit évaluer les connaissances des experts et établir pour le Parlement chaque année une évaluation du dispositif.
Suite au dépôt du rapport et après avoir entendu la victime, la CCI rend un avis sur la cause des dommages et leur étendue. Si la responsabilité est fautive elle invite l’assurance du professionnel de santé à faire une offre à la victime et s’il s’agit d’un aléa thérapeutique, l’ONIAM doit formuler une offre. Si l’assureur ne propose pas d’offre, la victime peut demander à l’ONIAM de se substituer à l’assureur.
Le mécanisme prévoit des délais imposant aux acteurs du dispositif d’agir avec célérité. Le fait que l’ONIAM soit un établissement public garantit les fonds et la bonne exécution des avis rendus par les CCI.
2. Une « dérive de l’équilibre institutionnel initial ».
C’est ainsi que la Cour des comptes évalue le dispositif après 15 années d’existence de la loi.
a. Cette dérive se manifeste tout d’abord par la remise en cause par l’ONIAM de l’indépendance des CCI
La loi avait confié la présidence des CCI à des magistrats afin de garantir l’impartialité, l’indépendance, éviter les conflits d’intérêts… L’ONIAM quant à lui se voyait assumer les frais de fonctionnement et mettre à disposition des CCI le personnel nécessaire.
Or l’affectation des moyens faite par l’ONIAM aux différentes CCI se fait de façon discrétionnaire* (*se dit d’un pouvoir qui s’exerce sans être soumis à une autorité supérieure), sans ligne budgétaire et la Cour des comptes relève que « la pertinence de leur répartition n’est pas avérée. » Ainsi en Ile-de-France les agents traitent en moyenne 133 dossiers contre 98 à NANCY, soit 44 % de dossiers en moins.
Mais surtout les Présidents de CCI n’ont aucun pouvoir hiérarchique sur les agents que l’ONIAM met à la disposition des Commissions et ces dernières sont totalement dépendantes de l’ONIAM pour l’allocation de leurs crédits de fonctionnement.
Alors que cela n’était pas prévu par le législateur, l’ONIAM conteste régulièrement le bien-fondé des avis rendus par les CCI.
Si l’ONIAM doit calculer l’offre d’indemnisation, veiller à ce que les pièces justificatives soient bien au complet, il n’a cessé de vouloir étendre son rôle.
Grâce à une jurisprudence du Conseil d’État du 10 octobre 2007 convergente avec la Cour de cassation (Cass, Civ 1ère, 6 mai 2010 et 4 mai 2012) selon quoi l’avis de la CCI ne lie pas l’ONIAM, ce dernier s’est octroyé le droit de réexaminer les avis de la CCI au point de les modifier dans un sens radicalement différent.
Pourtant l’ONIAM siège au sein des CCI et est présent lors des délibérations.
Non seulement il réexamine les dossiers, en secret et selon une procédure non contradictoire, mais de plus il informe les victimes de ses points de divergence avec la CCI qui a rendu l’avis et parfois même sur la recevabilité du dossier alors que la loi est claire confiant cette tâche à la CCI et non à l’ONIAM.
L’Office peut ainsi conclure à un refus d’indemniser et ceci sur l’évaluation faite par son service médical (1 médecin généraliste, deux internes et un chirurgien à mi-temps) composé de praticiens qui ne sont pas agréé par la CNAMed.
La Cour des Comptes note que ce nouvel examen peut prendre jusqu’à 6 mois et est pratiqué en violation de la loi puisque cette dernière n’a confié aucune attribution d’ordre médical à l’Office.
La Cour des Comptes indique que « l’établissement (l’ONIAM) intervient ainsi comme un assureur qui s’attacherait à limiter sa charge de sinistre ».
b. Elle se traduit également par l’effacement de la CNAMed
Le nombre d’experts inscrits sur la liste de la CNAMed n’est pas suffisant pour satisfaire la demande. Le nombre a même baissé (247 médecins en 2011 et 200 et 2015). Ceci pousse les CCI à confier des expertises à des experts médicaux non inscrits.
Pire : une ordonnance du 15 juillet 2016 a supprimé la condition préalable pour l’inscription sur la liste de la CNAMed d’être expert judiciaire.
D’autre part la CNAMed ne remplit pas son obligation d’évaluation annuelle du dispositif.
Cet effacement n’a pas été négatif pour tout le monde puisqu’il a permis à l’ONIAM d’élargir encore son domaine d’intervention encore une fois au delà de ce que lui autorise la loi et impose ses vues sur les dossiers en amont.
Ainsi l’Office a organisé des groupes de travail sans y associer la CNAMed ni les associations de victimes sur des sujets comme l’indemnisation de l’aide humaine et a négocié en 2013 une protocole d’accord avec la fédération des spécialités médicales pour trouver des experts alors que cela ne relève pas de ses attributions mais de la CNAMed.
L’ONIAM a pu agir avec d’autant plus de facilité que la CNAMed n’a plus fonctionné pendant 8 mois en 2015 pour cause de non renouvellement de ses membres en temps utile par les autorités !
Pour la Cour des Comptes le dispositif prévu par la loi de 2002 portait en soi dès le départ un déséquilibre en ne prévoyant pas pour les CCI et la CNAMed de moyens propres.
Prévu pour être attentif aux préoccupations des victimes et plus proche des victimes qu’un contentieux classique, le mécanisme s’est totalement enrayé et a été dévoyé dans sa mise en œuvre.
3. Des résultats pour la Cour des Comptes très éloignés des objectifs.
Pour la Cour des Comptes le dispositif est en échec. Il est en effet peu attractif et peu performant.
Les demandes n’ont jamais dépassé les 4500 dossiers par an et ont même baissé en 2015 de 3,6 %.
Les CCI ont rejeté 3/4 des dossiers au regard de la gravité jugée insuffisante. Sur la période 2011-2015, 5646 avis favorables ont été émis par les CCI, dont 2663 pour des accidents fautifs.
L’ONIAM a, à son tour, réexaminé les dossiers et écarté à nouveau 8,5% des dossiers : 5 % pour des avis portant sur une demande au titre d’un aléa thérapeutique et 20% de ceux relatifs à des demandes de substitution en cas d’accidents fautifs.
Résultat : les saisines directes des tribunaux ont bondi de 9% en 2011 à 16% en 2015 !
En 2011, 11 % des victimes contestaient les décisions de l’ONIAM, elles étaient 17% en 2015.
La Cour note que près de la moitié des indemnisations réglées par l’ONIAM le sont en vertu d’une décision d’un tribunal.
Enfin le bilan du dispositif est peu flatteur pour l’ONIAM qui se félicite pourtant de réduire les délais d’indemnisation.
Ces délais s’allongent et le délai légal de 4 mois n’est jamais respecté. Seuls 13 % des avis sont suivis d’indemnisation en 1 an.
Pire, dans la mesure où l’ONIAM peut faire une offre partielle, c’est-à-dire indemniser par exemple 2 ou 3 préjudices, l’Office utilise ce moyen pour respecter purement formellement le délai de 4 mois car l’offre définitive, c’est-à-dire incluant l’absence des préjudices, peut prendre parfois plusieurs années, en particulier quand la victime, sans avocat, ne produit pas les pièces relatives aux indemnités qu’elle a reçues des tiers payeurs (les organismes sociaux comme les CPAM).
Au bout de plusieurs années l’ONIAM clôt administrativement le dossier.
La Cour relève ainsi que 58% des dossiers enregistrés en 2011 n’avaient reçu au 31 mars 2016 qu’une offre partielle !
Enfin pour les dossiers ayant finalement abouti, le délai moyen s’établit maintenant à environ 2 ans et 9 mois, encore que ce délai ne court qu’à partir du moment où le dossier de la victime est considéré comme complet, ce qui peut prendre déjà 6 mois.
La comparaison des délais avec les tribunaux, administratifs comme judiciaires, n’est pas spécialement à l’avantage du dispositif car les délais sont assez proches pour les juridictions administratives, voire plus rapides pour les juridictions judiciaires.
Quant au niveau des indemnisation, la comparaison est difficile à faire note la Cour des comptes car l’ONIAM ne donne des informations que sur le montant moyen des indemnisations par dossier clos. Or ce taux stagne depuis 2008, voire à tendance à baisser.
Si l’ONIAM explique que ce niveau est dû au référentiel utilisé qui est moins avantageux que celui des tribunaux, la Cour note que cela ne vaut que pour les juridictions judiciaires puisque les tribunaux administratifs ont tendance à prendre comme référentiel celui de l’ONIAM.
Il faudra espérer que la revalorisation du référentiel en 2016 profite aux victimes.
Pour la Cour le dispositif amiable d’indemnisation des victimes d’accidents médiaux se révèle pas plus avantageux aujourd’hui pour une victime que le contentieux classique devant les tribunaux.
4. Enfin la Cour note de nombreuses et graves défaillances de gestion qui doit appeler à une remise en ordre impérative du dispositif.
Pour la Cour ces graves défaillances sont d’autant plus anormales que l’ONIAM a pris la direction du système d’indemnisation : un budget sous-exécuté, des charges de personnel ayant fortement augmenté et une commande publique sans pilotage. Les marchés, du plus petit au plus important, présentent des irrégularités au regard du Code des marchés publics a relevé la Cour.
Ces dysfonctionnements s’accompagnent de l’absence d’assistance des victimes, hormis celles assistées d’un avocat et/ou d’un médecin-conseil ou d’une association de victimes.
Les victimes sont contraintes de faire de longs voyages pour les expertises et à leur frais.
Devant la réticence des établissements et des professionnels de santé, la Cour propose l’instauration d’une amende qui viendrait sanctionner la non communication des dossiers médicaux.
En ce qui concerne la pénurie d’experts, les Présidents de CCI pourraient faire appel à des médecins non inscrits mais leur 1ère mission ouvrirait une période probatoire de 1 ou 2 ans au terme de laquelle il y aurait agrément de la CNAMed pour pouvoir continuer à œuvrer dans le cadre du dispositif.
Pour la Cour il est tout aussi important de clarifier le rôle des CCI, de la CNAMed et de l’ONIAM.
La première mesure essentielle consistant dans l’arrêt par l’ONIAM du réexamen des avis de la CCI note la Cour. On pourrait ajouter également l’existence d’un budget propre ne faisant pas dépendre pour leur fonctionnement les CCI de l’Office.
Source : Village Justice.
Revue de presse
Le Monde, Pourquoi Docteur ?, Capital, Le JDD, Le Parisien, Mutualité Française, Argus de l’Assurance.
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