
La vie de Mounir et Camille a basculée le 4 décembre 2018 à la maternité de Lorient. La naissance de leur petite Fatiha a tourné au cauchemar après un accouchement difficile, achevé par une rupture utérine. Le bébé a été asphyxié et est aujourd’hui handicapé à plus de 90%.
Voilà dix mois que Fatiha est née, le 4 décembre 2018 à la maternité de Lorient. Il était 1 h 47 du matin. Sa vie et celle de ses parents, Mounir et Camille, ont basculé. Depuis, le quotidien de ces Parisiens se résume à quatre murs dans une chambre de l’hôpital de Vannes. Premiers regards, premiers sourires. Il n’y en aura pas. L’accouchement a tourné au drame. La rupture utérine a nécessité une césarienne d’urgence. Un code rouge, dans le jargon médical, pour Fatiha devenue polyhandicapée à plus de 90 %.« Notre bébé s’est asphyxié », glisse Mounir.
Penchée sur son lit, Camille parle à sa fille en lui caressant les cheveux. Elle lui murmure des mots doux. Fatiha ne peut pas les entendre. Ni croiser son regard. Elle est sourde, aveugle et n’a pas de motricité. Elle ne peut ni manger, ni respirer sans appareils. Ses parents viennent la voir tous les jours. « Dès que je me lève et quand je me couche, j’appelle le service pédiatrique, glisse Camille. Ça compense le fait que je ne peux pas m’occuper d’elle. »
Elle ne quitte pas sa fille des yeux. Pas question de laisser cette tache sur sa robe jaune. Camille choisit avec soin une nouvelle tenue. « Il y a deux semaines, elle a gémi. Ça lui est arrivé deux, trois fois. C’est presque un miracle. »
Tout l’opposé de ce que ce couple imaginait. Tous deux parents de deux enfants, ce bébé était le fruit de trois ans d’amour. « Fatiha était attendue avec impatience. »
Venus de Paris, cette employée dans l’immobilier et cet entrepreneur n’avaient pas prévu de s’installer dans le pays de Vannes. « Nous étions venus pour rénover et vendre un appartement à Lorient. Nous y avions organisé le suivi de grossesse. » Le retour à Paris devait se faire peu après l’accouchement.
De cette nuit-là, le couple se souvient de tout. « Trois semaines avant le terme, le médecin m’a parlé de déclenchement. Il y avait suspicion de macrosomie fœtale ». Péridurales, contractions intenses, poche des eaux rompue, douleurs… Tout s’enchaîne : « Je pleurais, je n’étais pas bien. Je commençais à vomir… »
Son utérus se déchire. Le code rouge est déclenché pour extraire le bébé.
Mounir raconte la suite. « Le pédiatre m’a dit que le bébé risquait d’avoir des séquelles neurologiques. J’étais sous le choc. Je n’ai pas tout compris ». Fatiha est transférée au service néonatologie de Brest, placée en hypothermie et coma artificiel. Le lendemain, ses parents la rejoignent. Chacun encaisse à sa façon.
« À ce moment, tout s’écroule », pour Mounir. « Je n’arrivais pas à pleurer. J’étais dans un autre monde, ajoute Camille. Tout ce que vous avez prévu. Le peau-à-peau, l’allaitement… On vous enlève tout. Je ne pouvais même pas prendre mon bébé dans les bras. » Ils évoquent aussi l’espoir qui les tient debout : « Les médecins sont flous. On sait qu’ils nous préparent au pire. »
L’association La brise, qui œuvre en faveur des soins palliatifs pédiatriques, les accompagne. « Nous sommes en contact régulier ». Le couple a aussi rempli une fiche d’urgence indiquant les gestes médicaux à réaliser en cas de complications. « Son cas est si lourd qu’il peut y en avoir à tout moment. Elle est tous les jours exposée à la mort. Jusqu’où peut-on aller pour la soulager ? C’est une question grave, ajoute Mounir. Nous avons fixé des limites. On la laissera partir en cas de complication. On ne veut pas d’acharnement. On refuse tout ce qui peut lui faire du mal. »
Voilà plus de 9 mois que Fatiha est là. Son nounours l’attend toujours dans sa chambre, à la maison qu’ils ont fini par aménager, dans le pays de Vannes. « Ce n’est pas une vie pour elle », confie son père.
D’ici quelques jours, les médecins, l’association La Brise et le couple se réuniront. « Nous voulons faire le point sur l’évolution de sa santé. Elle survit. Mais a-t-on le droit de la maintenir comme ça ? », s’interroge son père.
Sa femme « n’est pas encore prête », selon lui. Camille ne dément pas et parle de petites victoires. « Elle est sensible au toucher. Je suis sûre qu’elle ressent notre présence. » Le mot n’est jamais prononcé. « Aucun parent n’est prêt pour ça. » Eux ont abandonné tout projet. « Notre quotidien, c’est l’hôpital et notre impuissance. »
Ce qui dit la loi
Les directives anticipées
La loi relative aux droits des malades et à la fin de vie est plus connue sous le nom de loi Leonetti. Promulguée le 22 avril 2005, elle permet d’arrêter ou de limiter les traitements, comprenant l’alimentation et l’hydratation, des malades en fin de vie selon leur volonté. Ceux-ci peuvent s’accompagner de soins palliatifs pour éviter aux personnes de souffrir. Le patient qui est dans l’incapacité d’exprimer sa volonté aura pu le faire en remplissant ses directives anticipées ou par le biais d’une personne de confiance. « Les directives anticipées sont comme un testament qu’il faut remplir de manière lucide », détaille Renée Jeanjean, déléguée du Morbihan de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité.
La loi Leonetti-Claeys
Promulguée en 2016, celle-ci vient renforcer les droits des malades, notamment en permettant une sédation profonde et continue. Il s’agit concrètement d’endormir la personne jusqu’à sa mort pour lui éviter toute souffrance. Il ne s’agit ni d’un suicide assisté, ni d’une euthanasie. Et si le médecin juge la demande inappropriée ou non-conforme à la situation médicale de son patient ? « Un collège de médecins doit se réunir pour décider si ou non, l’état de santé du patient permet de mettre en œuvre la loi Leonetti », ajoute Renée Jeanjean. L’arrêt des traitements et la prise de sédatifs sont effectués par le corps médical.
Qu’en est-il des mineurs ?
« C’est une décision collégiale des médecins avec les parents, ajoute la déléguée départementale. Ce n’est jamais imposé. »
Source : Ouest-France.
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