
Des mères accusées de la mort de leurs bébés, des décès durant des accouchements, des soins forcés, des refus de pratiquer des césariennes… L’Angleterre découvre avec effroi les premiers résultats d’une large enquête menée dans un hôpital de Shrewsbury, à l’ouest du pays. Le service de santé publique britannique, le NHS, est pointé du doigt.
Le Royaume-Uni est secoué par de nouveaux éléments qui viennent étayer des soupçons de maltraitance sur des nouveau-nés et leurs mères dans une maternité de l’ouest du pays, le Shrewsbury and Telford Hospital NHS Trust, situé à Shrewsbury.
Entre 2000 et 2018, treize femmes sont mortes dans cette maternité en accouchant, un taux anormalement élevé. La mort de sept nouveau-nés est également examinée, ainsi que de très nombreux cas de d’erreurs lors de la prise en charge des mères et leurs nouveau-nés dans l’hôpital.
De nouveaux résultats d’une large enquête, nommée le rapport Ockenden et publiée le 10 décembre dernier, montre de graves manquements de la part de médecins et de sages-femmes de l’établissement pendant plusieurs décennies.
20 années passées à la loupe
Le premier couple à sonner l’alarme est Richard Stanton et Rhiannon Davies. Leur fille, Kate, est morte quelques heures après sa naissance en mars 2009, après être passée par cette maternité. Kayleigh et Colin Griffiths, parents de la petite Pippa, ont également imputé à l’établissement la mort de leur fille en 2016, décédée à la suite d’une infection streptocoque du groupe B. Le couple accuse le personnel de l’hôpital de négligence.
En avril 2017, le gouvernement ordonne une enquête indépendante pour faire lumière sur ces morts, ainsi que sur 21 autres cas de soupçons de maltraitance hospitalière dans la maternité, placée sous la houlette du NHS, le système de santé du Royaume-Uni. En 2018, les experts chargés du rapport Ockenden élargissent leur travail à 40 autres patients, passés par la maternité entre 1998 et 2017, puis à 100 autres. Au total, ce sont 250 cas préoccupants qui ont été étudiés par le comité.
Dès novembre 2019, le quotidien The Independant dévoile des extraits du travail d’enquête, montrant que des bébés et des mères sont morts dans une culture « toxique » qui règne à dans l’hôpital depuis 40 ans. En 2020, la police de West Mercia, dans un communiqué, annonce l’ouverture d’une enquête, menée pour « déterminer s’il existe des preuves permettant l’ouverture d’une affaire pénale contre l’institution ou contre des personnes impliquées. »
1862 cas recensés
Le premier rapport qui « évalue de manière indépendante la qualité des enquêtes relatives aux préjudices néonatals, infantiles et maternels » au sein du service de santé, adressé au Secrétaire d’État à la santé du pays, a été publié jeudi 10 décembre.
Les auteurs se sont penchés sur « tous les cas signalés de maternité et les dommages néonataux entre les années 2000 et 2019. Il s’agit notamment des cas de mortinaissance, de décès néonatal, de décès maternel, d’encéphalopathie ischémique hypoxique et d’autres complications graves chez les mères et les nouveau-nés. »
Les experts pointent que le nombre de témoignages qu’ils auront à examiner atteint désormais les 1862 cas, et préviennent : « Une fois l’examen terminé, il est probable que celui-ci contienne le plus grand nombre de revues cliniques menées dans le cadre d’une enquête portant sur un seul service dans l’histoire du NHS. »
Des mères blâmées pour la mort de leurs enfants
Le rapport dévoile qu’après certains décès suspects, aucune enquête n’a été ouverte par l’hôpital. Mais aussi qu’« un langage inapproprié avait parfois été utilisé pour causer de la détresse ». Certaines femmes ayant perdu un enfant « étaient blâmées pour la perte de leur enfant, ce qui a aggravé leur chagrin ».
Ainsi, en 2011, une femme à « l’agonie » se serait entendue dire que son état n’était pas grave. Le personnel aurait été dédaigneux et fait en sorte qu’elle se sente « pathétique ». Sentiment aggravé par l’obstétricien qui l’aurait traitée de « paresseuse ». En 2013, une patiente venant d’accoucher aurait hurlé de douleurs pendant des heures avant que le personnel médical ne la prenne en charge et comprenne qu’elle avait besoin d’une opération.
Refus de césarienne et usage disproportionné de médicaments
Des injonctions forcées d’ocytocine, un médicament connu pour provoquer des contractions, les rendre plus fréquentes et longues, sont rapportées. Ce recours massif à cette hormone peut avoir des conséquences dramatiques, car il présente des risques pour la fréquence cardiaque des fœtus. En 2006, une patiente se serait vue injecter le médicament, alors que cet acte était contre-indiqué. Son bébé est mort quelques jours plus tard. En 2015, un autre nouveau né est mort alors que sa mère avait reçu de l’ocytocine durant son accouchement.
L’enquête montre également une pression des médecins pour tenir leur taux de césariennes bas, obligeant des mères à accoucher sans cette opération, alors que celle-ci aurait pu éviter des blessures, voire la mort de la patiente ou de l’enfant. L’usage violent des forceps dans certains accouchements est également dénoncé par le rapport.
« Beaucoup ont vécu des événements qui ont changé leur vie et qui ont causé des souffrances et une détresse incalculable, notamment la mort de mères et de bébés. Des pères, des frères, des sœurs et des grands-parents se sont retrouvés totalement démunis », pointe le rapport.
Des parents témoignent
Auprès de Sky News, des mères témoignent, comme Rhiannon Davies, l’une des mères qui a lancé l’alerte : « Les conclusions de l’examen intermédiaire d’aujourd’hui sont vraiment choquantes et incroyablement difficiles à lire. »
Le média local Shropshire Star, la cite également : « [en lisant le rapport] je me sentais malade. Je devais littéralement me lever et sortir pour prendre de l’air frais et y revenir lentement […] Chaque fois qu’on lit qu’un bébé est mort, c’est très bouleversant. Vous connaissez votre propre cas par cœur, mais voir le traumatisme subi par d’autres familles est réellement écœurant. » Toujours dans le quotidien, Hayley Matthews, dont le fils Jack est mort au sein de la maternité quatre heures après sa naissance, raconte s’être sentie « très nerveuse et anxieuse avant la publication de ce rapport ». Elle ajoute : « J’espère qu’ils ont retenu la leçon ».
La NHS déjà épinglée par le passé
La directrice générale de l’établissement, Louise Barnett, a réagi, et assuré : « Nous nous engageons à mettre en œuvre toutes les actions décrites dans ce rapport et je peux assurer aux femmes et aux familles qui utilisent nos services que si elles font part d’inquiétudes concernant leurs soins, elles seront écoutées et des mesures seront prises. »
Jeremy Hunt, membre du parti conservateur, ancien ministre de la Santé qui avait à l’époque chargé le comité d’enquêter, s’est exprimé sur Twitter, jeudi, estimant que cette affaire « pourrait devenir le plus grand scandale de sécurité des patients jamais enregistré par le NHS ». Et d’ajouter : « Quoi qu’il se passe avec le Brexit, la vie des bébés est en jeu – cela ne doit pas être négligé. »
Ce n’est pas la première fois que le système de santé publique se retrouve au cœur de scandales sanitaires de l’autre côté de la Manche. Ainsi, en juin 2018, l’organisme a dû répondre à des accusations de recours massifs à l’euthanasie. Jérémy Hunt était alors encore ministre de la Santé et s’était excusé publiquement au nom de la NHS et du gouvernement, comme le rappelaient à l’époque Les Échos .
En 2013, un autre rapport indépendant avait pointé la culpabilité de la NHS dans de nombreuses défaillances au sein de onze hôpitaux anglais. Dans le seul établissement de l’hôpital de Stafford, entre 400 et 1 200 patients seraient morts de négligence, entre 2005 et 2008.
Source : Ouest-France.
Le rapport OCKENDEN : OCKENDEN REPORT : Independent review of maternity services at Shrewsbury and Telford Hospital NHS Trust.
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